Revue de presse

"A l’Assemblée, les tabous sur l’islam commencent à tomber" (marianne.net , 23 juin 15)

23 juin 2015

"Organisé hier, au Palais-Bourbon, le forum "République et islam : ensemble, relevons le défi" aura montré qu’il est possible d’évoquer publiquement cette question. Contrairement à l’ex-UMP qui a fini par organiser, à huis clos, sa propre réunion sur le sujet au début du mois...

[...] « Si on parle de l’islam, c’est bien qu’il y a un problème », s’échauffe Jean Glavany, député PS des Hautes-Pyrénées, à l’initiative du colloque « République et islam : ensemble, relevons le défi ». Une petite estocade à l’adresse de Claude Bartolone — et de certains de ses condisciples — qui, en début de séance, avait trompeté : « Il n’y a aucun problème entre islam et République » [1].

Piquant, l’échange est à l’image de ces quatre heures d’exposé, et des 36 interventions qui les ont ponctuées. Car le sujet de l’islam et des dérives de l’intégrisme aura finalement été abordé sans mièvrerie, sans tabou, ni angélisme. Et publiquement surtout, à l’inverse de la réunion des ex-UMP qui s’est tenue sur le même sujet début juin à huis clos. Un rendez-vous voulu par Sarkozy, persuadé sans doute de rééditer le coup du débat sur l’identité nationale avec lequel il avait réussi, par le passé, à piéger la gauche…

A défaut de déboucher sur des solutions concrètes, le débat a affiché de grandes ambitions : « réconcilier la société avec ses musulmans » pour le philosophe Abdennour Bidar, ou encore « faire jaillir la réalité de l’islam » selon Manuel Valls. Et les échanges ont été de bonne tenue. [...]

Dans l’atmosphère de cette salle aux airs de la « war room » du Dr Folamour de Kubrick, le débat prend un peu de consistance quand vient le temps de disserter sur l’« islam de France ». Parmi les invités, Madjid Si Hocine, médecin et animateur du collectif « L’égalité d’abord », prédit des difficultés. Et d’une bien curieuse façon. Dans les pétromonarchies islamiques du Moyen-Orient, explique-t-il, « l’islam de France sera rejeté comme une contrefaçon. » A l’évidence. Mais est-ce à ces pétromonarchies de donner leur aval ? Est-ce à elles qu’il faudrait complaire ?

La laïcité s’invite à son tour dans les discussions. On l’imagine « ouverte », « fermée », forcément adjectivée, comme à l’ordinaire. Et comme s’y est d’ailleurs employé Libération dans son édition du jour. Tombe une sentence assassine, mais juste, signée de l’historien Jean-Noël Jeanneney : « La laïcité ouverte, c’est un pléonasme, la laïcité fermée, une absurdité. »

Un à un, les tabous sur l’islam sont passés en revue. La sociologue Jacqueline Costa-Lascoux vitupère contre « l’influence des réseaux sociaux, le repli communautaire, l’entre-soi, le désir de visibilité sociale, les attitudes discriminatoires, l’intolérance à la critique » que ses travaux débusquent chez de jeunes musulmans. Beaucoup de ces esprits égarés « rêvent, nous dit-elle, de mourir de [leur] religion » car ils détecteraient là un geste d’« héroïsme ».

Les anaphores de la présidente du collectif « Egales » lui emboîtent le pas et insistent sur ces « jeunes filles contraintes de porter le voile, insultées parce qu’elles rejettent les traditions patriarcales, mariées contre leur gré » — un « nouveau fascisme adossé à une vision barbare de l’islam », selon elle. Ces dérives provoquent nombre de « malaises chez les musulmans laïques ». Amine Benyaminan, professeur de médecine, voit dans ces formes d’intégrisme « le symptôme d’un malaise social ». « On peut de moins en moins parler sans se faire traiter d’islamophobes. Il faut oser dire qu’il y a des problèmes », embraye à son tour Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo qui connaît que trop ce genre de critiques.

Et pour Alain Jakubowicz, le patron de la Licra, d’en voir surtout un, de problème : « Le problème, c’est celui de la religion », explique-t-il, imputant à l’islam, sans vraiment faire dans le détail, englobant par la même occasion l’ensemble des musulmans, « la montée terrifiante de l’antisémitisme, l’importation de conflits étrangers »…

A ceux qui redoutent d’ailleurs l’« islamisation » du pays, Jeanneney répond malicieusement en évoquant le construction de la mosquée de Paris, en 1926, voulue et financée par le ministre des Colonies, Edouard Herriot, par ailleurs protestant. Coût pour l’Etat : 500 millions de francs. Ne pestait alors que Charles Maurras, de l’Action française, identifiant un « trophée de la foi coranique », précurseur sans doute du « grand remplacement » qu’on nous prophétise à longueur de fil Twitter.

Mais la situation a un tantinet évolué. L’imam Abdelali Mamoun, le seul parmi ses pairs à être présent, reconnaît sans détour les difficultés : « Il y a une tension qui règne chez certains de nos imams, qui se sont repliés sur eux-mêmes, et pour qui les valeurs républicaines sont des suppôts du diable ». En face, la voix du producteur Djelloul Beghoura a la tremblote. Il balaye les propos essentialistes de certains : « Je ne suis pas ici comme musulman modéré, laïque, intégré, désintégré... Je refuse qu’on m’enferme dans ma confession ou dans mes origines ».

Mais alors — et c’est là l’essentiel — comment s’y prendre pour sortir « du choc des ignorances », selon les termes d’Abdennour Bidar ? Quelques idées fusent : plus d’aumôniers dans les prisons, ou des imams français qui ne soient pas « soumis à des intérêts étrangers ». A en croire l’avocat Kamal Maouche, la piste de l’école n’a pas été assez explorée. « Il faut réinventer de nouveaux hussards noirs de la République pour enseigner le civisme ». Il déplore la perte du sentiment national, veut « un service civique, des stages de sensibilisation ». « Stop aux mea culpa », fuse à son tour l’écrivaine Fawzia Zouari : « Nous, musulmans, devons écrire notre passion française ».

Débarqué en grande pompe, suivi par une nuée de caméras, Manuel Valls intervient quinze petites minutes, montre en main. Clôturant la discussion, il estime que « l’extrême droite et les salafistes ont un intérêt commun », tacle le CFCM qui a d’ailleurs critiqué la tenue de ce forum et qui, selon lui, « n’a pas su tenir son rôle technique » — c’est peu dire... [...]"

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