Revue de presse

21 janvier : "La tête de veau. La tête du roi sur un plateau" (humanite.fr , 31 juil. 20)

21 janvier 2023

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Plat typique du terroir français, la tête de veau est consommée traditionnellement le 21 janvier. Les héritiers des sans-culottes commémorent ainsi, à leur manière, la décapitation de Louis XVI et la chute de la monarchie absolue de droit divin.

Marion d’Allard

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Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, le 21 janvier, partout en France, des milliers de convives ripaillent lors de banquets républicains. Sur la table, entourée de ses petites pommes de terre de rigueur, vapeur ou cuites à l’eau, et surplombée d’une sauce gribiche aux saveurs acidulées de câpres et de cornichons, trône la tête de veau. Clin d’œil assumé à ce 21 janvier 1793 où Louis XVI perdit la sienne.

Aux origines, la tête de veau était de cochon et farcie. On doit l’initiative au pamphlétaire Romeau, qui, dès 1794, faisant paraître un petit fascicule intitulé « la Tête ou l’oreille de cochon », persuadait « tous les citoyens de célébrer, dans le sein de leurs familles, les époques les plus intéressantes de la Révolution, et d’y manger, en commémoration de celle du 21 janvier, une tête ou une oreille de cochon ». Et d’insister : « Eh quoi ! Nous aurions détruit de fond en comble la monarchie en France, et nous laisserions subsister des saturnales aussi antirépublicaines que l’insignifiant Saint-Martin, l’abominable Roi-Boit et l’indécent Carnaval ! »

Ainsi, le 2 pluviôse de l’an II signa l’arrivée sur les nappes des tout jeunes banquets de la tête de cochon. Pourquoi le cochon ? Parce que Louis Capet, qui retrouva son nom en perdant ses privilèges, prenait alors sous le crayon des caricaturistes les traits d’un roi goret. Sur fond rouge de la couleur de la Révolution, la première de ces parodies, qui représente le visage de Louis XVI posé sur un corps de porc, paraît en juin 1791, alors que la fuite à Varennes du roi et de sa femme vient de signer la rupture définitive entre le peuple et la monarchie.

Des confréries partout en France

À partir de 1848 et l’instauration de la IIe République – précipitée, d’ailleurs, par l’interdiction d’un banquet parisien –, la tête de veau se substitue à la traditionnelle tête de cochon farcie. Par nécessité ? Par goût ? Par coquetterie ? Les historiens n’ont pas tranché. Il convient donc de s’en remettre à Flaubert, qui au détour d’un dialogue dans « l’Éducation sentimentale » – publié en 1869 – évoque un emprunt à la coutume anglaise. Depuis 1649, outre-Manche, la décapitation de Charles Ier (le 30 janvier) est en effet célébrée par la dégustation d’une tête de veau. Ainsi Flaubert fait-il avouer à « l’ex-délégué du Gouvernement provisoire » le « mystère de la tête de veau » en ces termes : « C’est une importation anglaise. Pour parodier la cérémonie que les royalistes célébraient le 30 janvier, des Indépendants fondèrent un banquet annuel où l’on mangeait des têtes de veau, et où on buvait du vin rouge dans des crânes de veau en portant des toasts à l’extermination des Stuart. »

Plus de deux siècles après la décapitation de Louis Capet, la tradition se perpétue. Et de Pornic à Ussel, de Lyon à Rambervillers, des dizaines de confréries de la tête de veau existent partout en France. Ambassadrices de ce plat populaire, elles rivalisent de créativité, de concours en médailles, de festins en banquets, pour continuer d’en écrire l’histoire par l’assiette. Certes, la tête de veau peut rebuter. « C’est gélatineux, et par endroits un peu gras. Un peu comme un pied de cochon », note René, maître cuisinier de Quiberon, aujourd’hui retraité. Mais il faut s’accrocher, y revenir, retenter jusqu’à se laisser prendre peut-être moins par son goût que par « la convivialité qui l’accompagne ». Une tête de veau, « ça se mange à dix ou douze, ça se partage ». René la cuisine entière ou coupée en deux et roulée dans sa langue, « à la façon d’un pot-au-feu », longtemps, à l’eau salée et aux petits légumes.

Chirac, un sérieux ambassadeur

Boudée par les badauds et délaissée, parfois, par les grands chefs, la tête de veau doit une partie de son retour en grâce à Jacques Chirac, qui confiait face à la caméra dans « les Présidents et la table » (documentaire signé Christian Roudaut et Hélène Jouan) : « J’aime beaucoup la cuisine roborative. Plus que la cuisine sophistiquée. Tête de veau, cassoulet, civet de lièvre, chou farci. » Ainsi retrouva-t-elle ses lettres de noblesse et sa place aux cartes des belles tables. Tant et si bien qu’à la mort de l’ancien président, la Confédération nationale des tripiers de France déclarera sobrement : « Tristesse d’apprendre le décès de notre meilleur ambassadeur de la tête de veau, et grand amateur de produits tripiers ! »

Le 21 janvier n’est décidément pas un jour comme les autres. Et si pour beaucoup le jour est l’occasion d’un bon repas, à Saint-Denis, il donne tous les ans lieu à un invraisemblable face-à-face entre nostalgiques de la monarchie réunis pour une messe en la basilique des rois de France et héritiers des sans-culottes qui dégustent aux alentours une tête de veau au bon souvenir de la chute de la monarchie de droit divin."


Voir aussi le dossier Monarchie dans Histoire (note du CLR).


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