17 juillet 2017
"Il y a quelques semaines, la Guyane s’est mobilisée en un conflit social qui a agrégé l’ensemble de ses forces vives. Ce mouvement exigeait que la Guyane [1] fût enfin traitée à égalité au regard des autres départements métropolitains et d’outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion.
Une religion de préférence
En 1946 la Guyane est passée du statut colonial à celui de département [2]. En 2015 la Région et le Département de ce même territoire se sont unis pour former la Collectivité territoriale unique de Guyane avec une seule assemblée locale. Malgré ces apparentes normalisations, la prégnance coloniale a bien du mal à disparaître dans l’organisation sociale.
Ainsi en Guyane la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 ne s’applique pas. La Guyane échappant [3] au décret du 6 février 1911 qui l’a étendue aux colonies de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, c’est l’ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828, concernant le gouvernement de la Guyane qui y est toujours en vigueur… reconnaissant le seul culte catholique ! En conséquence, l’évêque et les prêtres sont rémunérés comme fonctionnaires par la collectivité territoriale unique. Pour un effectif d’une trentaine de ministres du culte catholique, la collectivité dépense annuellement un peu plus d’un million d’euros au seul titre des salaires. Faute de l’abrogation d’une ordonnance royale, l’article premier de la Constitution « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » n’est pas de mise en Guyane.
Une procédure est engagée…
En 2014, le président du Conseil général de la Guyane fait supprimer de son budget la rémunération du clergé catholique [4]. L’ordonnance royale étant toujours en vigueur, la délibération de l’assemblée départementale est annulée par le Tribunal administratif. Mais cette décision unilatérale du Conseil général a le mérite de faire ouvrir le dossier. Si bien qu’un dialogue engagé entre les parlementaires (Gabriel Serville et Antoine Karam) et l’évêque s’oriente vers un accord conduisant à terme à la suppression du régime dérogatoire, les ministres du culte catholique déjà présents dans la collectivité et y demeurant conservant leur statut à titre transitoire.
Les méandres parlementaires
Deux propositions de loi identiques visant à l’extension de la séparation des Églises et de l’État en Guyane sont déposées le 9 mars 2015 par Antoine Karam au Sénat et le 25 juin à l’Assemblée nationale par Gabriel Serville. Le gouvernement préfère présenter cette proposition sous la forme d’un amendement au projet de loi Égalité citoyenneté prévu courant 2015. Avec l’accord et la participation du cabinet du ministre de l’Intérieur, le sénateur Antoine Karam présente cet amendement supprimant la rémunération des prêtres catholiques en Guyane par la collectivité locale mais sans abroger les textes en vigueur. De son côté, la sénatrice de Haute-Garonne Françoise Laborde par ailleurs présidente de l’association laïque EGALE [5], propose un amendement visant à abroger l’ordonnance de Charles X. Ces deux amendements sont repoussés dès leur examen en commission, au motif que le dispositif proposé alourdirait le budget de l’État et ne correspond pas au sujet de la loi.
Fin 2015, le gouvernement refuse d’introduire la mesure dans le projet de Loi Égalité réelle outre-mer. Il recommande la procédure de l’amendement parlementaire.
Au Sénat, Antoine Karam présente un amendement en première lecture. La majorité sénatoriale refuse cette proposition, estimant qu’une telle mesure doit faire l’objet d’un texte de loi spécifique et non pas d’un simple amendement. Retour à la case départ !
Les élus guyanais ne demandent pourtant aucune dérogation, aucun passe-droit, aucune prise en compte de doit local particulier rien de plus que la mise en conformité de leur département avec la règle commune inscrite dans la Constitution. Peine perdue !
Cela laisse dubitatif quant à réalisation de l’accord qui vient d’être signé entre le gouvernement et les élus guyanais concernant l’avenir économique du département. Quand une décision qui ne coûte rien n’est pas prise, il faut être bien optimiste pour imaginer que des engagements nécessitant de gros efforts budgétaires puissent être tenus !"
[1] Les premières installations françaises commencent en 1503, mais la présence française ne devient réellement durable qu’à partir de 1643 et la fondation de Cayenne. La Guyane devient alors une colonie esclavagiste jusqu’à l’abolition officielle de l’esclavage au moment de la Révolution française.
[2] Elle accède temporairement au statut de département français à partir de 1797 mais est progressivement transformée en colonie pénale avec l’instauration du bagne. Il s’agit plus précisément d’un réseau de camps et de pénitenciers répartis sur l’ensemble de la côte guyanaise dans lesquels les détenus sont condamnés aux travaux forcés.
[3] En 1911, lors de l’extension de la loi de 1905 aux Antilles et à la Réunion, une partie de la classe politique guyanaise s’est opposée à toute modification. La Commission coloniale émet alors un avis négatif, bien qu’elle ne soit pas compétente en la matière.
[4] Voir Combat laïque n° 58 page 17.
Lire aussi "La Guyane doit continuer à salarier ses prêtres, tranche le Conseil constitutionnel" (marianne.net , 5 juin 17), "Guyane : la rémunération des prêtres par la collectivité territoriale conforme à la Constitution" (AFP, Guyane 1ere, 2 juin 17), "Guyane : le tribunal administratif ordonne au conseil général de continuer à rétribuer les prêtres" (AFP, lagazettedescommunes.com , 30 déc. 14), "Guyane : le Conseil général obligé de payer des prêtres" (AFP, lagazettedescommunes.com , 29 sep. 14), "En Guyane, la justice somme le département de continuer à payer les prêtres" (la-croix.com , 17 juin 14), Guyane : "Le conseil général ne paie plus les prêtres" (Guyane 1ere, 19 mai 14) (note du CLR).
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