Revue de presse

"La cabale de Wikipédia contre « Le Point »" (Le Point, 20 fév. 25)

(Le Point, 20 fév. 25) 27 février 2025

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Wikipédia contre « Le Point » : comment « l’encyclopédie libre » est devenue une machine à calomnier".

Enquête. Le Point fait l’objet d’une campagne de dénigrement menée par des militants anonymes sur l’« encyclopédie » en ligne. Lorsqu’on interroge les auteurs sur leurs motivations, ils crient à la censure…

Par Erwan Seznec

Entre-soi, absence totale de contradictoire, sélection partiale des données, inversion accusatoire, effet de meute, élimination arbitraire des informations discordantes : pour rédiger des articles à prétention encyclopédique, les wikipédiens sont en train de réinventer – bénévolement – ce que le journalisme a pu faire de pire. Il suffit de consulter la page Wikipédia du Point pour comprendre l’étendue de l’opération de désinformation dont nous sommes victimes depuis plusieurs mois : considérations malveillantes présentées comme vérités indiscutables, inventaire partial et partisan des polémiques et erreurs qui ont pu émailler la vie de notre journal, présentation malintentionnée de plusieurs chroniqueurs, sans compter les très nombreuses erreurs factuelles pures et dures.

Sur Wikipédia, les contributeurs répètent en boucle que Le Point ne serait « pas une source fiable », que le journal serait « islamophobe », donnerait la parole à des voix « de la droite dure et de la mouvance complotiste », que Le Point verserait dans le « populisme », serait « une caisse de résonance du déni écologique » ou donnerait la parole à des figures proches de « l’extrême droite néofasciste »… Tout cela serait comique, s’il ne s’agissait d’un crachat au visage de nos lecteurs.

De courageux anonymes
Cet inventaire délirant et à charge a été rédigé par de courageux anonymes, qui consacrent, l’historique des modifications en atteste, de longues heures à nous démolir sur Wikipédia. Par leur militantisme zélé, ils piétinent les principes fondateurs de l’encyclopédie. Soyons clairs : nous n’avons pas de problèmes avec le droit à la critique, simplement, nous demandons à être traités avec honnêteté, ce qui est, nous concernant, très loin d’être le cas.

Pour avoir voulu interroger l’un des artisans de cette campagne complotiste menée sous le règne du pseudonymat, nous avons dû subir une pétition ubuesque, lancée le 17 février par des contributeurs qui protestaient contre « les méthodes du Point ». Notre crime ? Avoir envoyé un mail à un contributeur. Courageux et cohérents avec eux-mêmes, les signataires ont afflué… sous pseudonyme, évidemment.

Depuis lundi, sur les réseaux sociaux, certains hurlent donc au complot, on brandit héroïquement l’épouvantail de « la censure », on se présente comme des résistants face à cette « menace » que ferait planer Le Point sur la liberté d’expression. Quelle ironie ! Une partie de la communauté des wikipédiens ne semble plus très loin de revendiquer le droit de calomnier anonymement. Les signataires de la pétition prétendent qu’il s’agit de protéger les contributeurs – pas les journalistes qui signent leurs articles de leur nom, eux – contre les pressions et les menaces.

Rester dans le circuit
Dans plusieurs cas que nous avons examinés en détail, l’anonymat a des visées moins nobles. Il permet à des wikipédiens bannis pour non-respect des règles internes de rester dans le circuit. Exemple : « Chouette Bougonne », ex- « Malaria28 », à l’œuvre contre Le Point, connue de la communauté depuis des années pour ses excès de zèle et qui s’est recréé un compte.

Dans les cas les plus graves, enfin, des contributeurs utilisent l’anonymat pour se citer eux-mêmes afin de dénigrer ceux qu’ils considèrent comme leurs adversaires politiques. « Factsory » a ainsi été pris en flagrant délit par l’Association française pour l’information scientifique. En désaccord avec elle, il l’attaquait sur Wikipédia, et renvoyait ensuite vers l’encyclopédie les étudiants de l’école de journalisme de Lille, où il intervenait sous sa véritable identité d’universitaire, à propos, ça ne s’invente pas, d’éthique et d’information scientifique…

Protéger l’anonymat des sources qui prennent de vrais risques est un aspect fondamental du métier de journaliste. La plupart des wikipédiens considèrent la question avec désinvolture, divulguant tellement d’éléments sur leur propre vie qu’ils sont identifiables en quelques minutes. C’est le cas de « FredD », le fameux contributeur qui prétend que Le Point l’aurait menacé, et qui étalait ses titres universitaires sur son profil Wikipédia : khâgne, ENS Lyon, enseignant-chercheur en écologie, parlant anglais, espagnol et italien, etc.

Ces informations et son pseudonyme ne correspondaient qu’à un seul individu sur Google ! Universitaire, chercheur, rattaché un temps (éphémère) à un laboratoire de recherche dépendant de Sciences Po Paris (que Le Point interroge très souvent), il précisait, sous sa véritable identité, qu’il était l’auteur de plus de 30 000 contributions sur Wikipédia. Son adresse mail et son portable étaient publics et accessibles en quelques clics.

Dénigrement
Nous lui avons donc envoyé un mail, le 15 février à 17 h 38. « Pouvez-vous me dire si vous êtes bien l’auteur de cette contribution sur la page Wikipédia du Point, le 11 février 2025, sous le pseudonyme de FredD ? Je vous écris car le profil renseigné par FredD présente beaucoup de similitudes avec votre CV (voir pièces jointes). Si c’est une coïncidence, veuillez m’excuser de vous avoir dérangé pour rien. »

Le seul résultat a été une recrudescence instantanée d’interventions à charge sur la page du Point ! À 18 h 54, faute de réponse, un second mail sollicitant son contradictoire attire son attention sur le sérieux de la situation : « Nos avocats examinaient depuis des semaines les suites à donner au harcèlement coordonné dont Le Point est la cible. […] Nous allons faire un article sur vous, sur notre site, en donnant votre identité, votre fonction, en sollicitant une réaction officielle de [nom de ses derniers employeurs connus]. Si vous souhaitez commenter, nous sommes à votre disposition jusqu’à lundi 12 heures. Je n’aurais qu’une question, somme toute : à quoi vous attendiez-vous exactement ? »

Le fait qu’un universitaire contribue à la fois à un centre de recherche politique et anonymement à une opération de dénigrement politique méritait à nos yeux d’être porté à la connaissance du public. Il n’a pas répondu, mais donnait tout de même (anonymement toujours) mardi 18 février une interview sur France Culture pour expliquer ce qu’aurait dû faire Le Point… L’annonce de la préparation d’une action en justice a sans doute été interprétée comme une tentative d’intimidation. Il ne s’agissait en aucun cas d’un bluff : des démarches juridiques sont engagées, Le Point aura l’occasion de revenir sur cette action juridique.

La religion des sources
Certaines contributions de FredD étaient, au regard de son profil universitaire, consternantes de médiocrité, au point que nous avons cru un moment à une usurpation d’identité. Datée du 11 février, l’une d’elles affirmait que la « prise de direction » d’Étienne Gernelle au Point – en 2014 – s’était « accompagnée d’un virage marqué du magazine en faveur d’une droite dure très favorable à Donald Trump et ses divers relais français, notamment en provenance de la complosphère et de la fachosphère ». Trumpiste donc deux ans avant l’élection de Trump, on est priés de ne pas rigoler, Wikipédia c’est du sérieux.

L’encyclopédie en ligne a la religion des sources. Une énormité sourcée l’emporte sur une évidence non sourcée, jusqu’à l’absurde : l’écrivain Philip Roth s’est vu éconduire alors qu’il voulait modifier l’interprétation faite sur Wikipédia de son roman La Tache. Son tort : il n’avait pas de source. Ainsi, pour nos contributeurs anonymes et prétendus apolitiques, Le Point ne serait « pas une source fiable » dans le monde des médias, à l’inverse de Mediapart, Arrêt sur images, Acrimed, Le Monde Diplomatique, Reporterre, ou Politis… sources abondamment citées pour « crédibiliser » la fiche du Point. Le fait que tous ces médias soient classés à (l’extrême) gauche ne semble pas poser le moindre problème de déontologie aux censeurs moralistes.

Calomnie
Sur la prétendue dérive proto-trumpiste de l’hebdomadaire, les « sources » proviennent d’un simple blog anonyme créé en 2017. En principe, les blogs ne sont pas admis comme des sources recevables sur Wikipédia, celui-ci se dispensant de surcroît de toutes mentions légales. Et il est alimenté par des anonymes qui se disent chercheurs et universitaires. Le collectif à l’origine de ce blog a bien évidemment porté ses ajouts calomnieux sur nos pages Wikipédia en même temps qu’il tentait de dissuader, par une abondante campagne de mails (que nous avons pu consulter), des chercheurs de participer au Paris-Saclay Summit, un événement scientifique coorganisé par Le Point. De quel côté exactement viennent les tentatives d’intimidation ?

Ces attaques ciblent désormais directement des journalistes de la rédaction. Ainsi notre consœur Géraldine Woessner est-elle régulièrement la cible de ces délicats anonymes. Dans une enquête de 2022, elle avait démonté un vieux mythe xénophobe, les 5 millions d’assurés fantômes non-résidents siphonnant la Sécurité sociale depuis l’étranger, mais qu’importe, le collectif derrière ce blog l’accuse d’être « le relais des théoriciens de l’extrême droite », sur la base manipulée d’une citation délibérément mal interprétée relative à l’expression « grand remplacement ». Faire semblant de ne pas comprendre est un art consommé chez nos démolisseurs de l’ombre.

Notre confrère Thomas Mahler (qui a quitté Le Point il y a plus de quatre ans pour rejoindre la direction de la rédaction de L’Express) est aussi accusé « d’avoir accordé des interviews complaisantes et sans contradiction à des figures du transhumanisme et de La Manif pour tous ». Là encore, aucune précision n’était fournie. Les papiers en question sont toujours en ligne. N’importe quel lecteur honnête comprendra en les lisant qu’il ne s’agit en aucun cas de complaisance, mais d’une saine volonté de comprendre le monde, y compris en se confrontant à ceux qui ne pensent pas comme nous. Notre confrère était à leurs yeux coupable d’avoir diffusé « des discours politiquement très marqués », selon toute vraisemblance, pas suffisamment à gauche pour les auteurs.

Libre à chacun de considérer « l’extrême droite » comme son adversaire et de décréter que tout ce qui déplaît serait nécessairement « d’extrême droite », quand bien même ce comportement relève davantage de la paresse mentale que de la sérieuse analyse politique. Concernant Le Point, sur Wikipédia, le reproche est récurrent. Nous avons très clairement appelé à battre Marine Le Pen, mais peu importe. Ceux qui rédigent notre fiche ne nous lisent pas, opposés qu’ils sont au « modèle de l’information payante ».

Guerre idéologique
La liberté d’expression est sacrée. La jurisprudence a même établi un droit à la caricature, à l’invective politique et à l’exagération syndicale. Nous le respectons : Le Point a ouvert ses colonnes à Daniel Schneidermann, qui nous comparaît à l’hebdomadaire collaborationniste Je suis partout. Le contexte, ici, est totalement différent. Que reste-t-il des prétentions encyclopédiques de Wikipédia face à de tels dévoiements ? Que se passe-t-il quand ses participants s’abritent derrière une apparente neutralité pour nourrir une guerre idéologique ?

Certains wikipédiens, lucides, ont compris que la machine avait déraillé, au moins dans le cas du Point. « Si Le Point envisage des suites juridiques, c’est dans l’ordre des choses qu’il cherche à identifier la cible de sa plainte », écrivait le 16 février le contributeur « 13 Tokyo Kara », pourtant fervent défenseur de Wikipédia. « C’est aussi dans l’ordre des choses qu’un journaliste identifie [jusqu’à un certain point] le sujet d’une de ses enquêtes. De notre côté, il faudrait être plus rigoureux, note ce contributeur. Il y a des propos tenus sur ce sujet ces dernières heures qui tombent probablement sous le coup de la loi. Propos qui vont, n’en doutons pas, pouvoir être relevés et utilisés contre le projet. » Bien vu.


Déliquescence journalistique à France Culture

Résumons les événements : Le Point est la cible de trolls anonymes – comme on en rencontre beaucoup sur les réseaux sociaux – mais sévissant, eux, sur notre page Wikipédia, dont ils ont pris le contrôle. Des militants, manifestement d’une gauche très radicale, truffent celle-ci d’informations fausses, biaisées, tronquées, souvent grotesques, et, en tout cas, toujours hostiles. Cela fait un an que cela dure. Nous ne sommes pas les seuls à être l’objet de ce type de pratiques, mais nous, nous enquêtons, c’est notre travail.

Dans ce cadre, un e-mail est envoyé par un de nos journalistes à l’un de ces trolls anonymes, que nous avons réussi à identifier, ce qui déclenche leur fureur : ils ne souffrent pas qu’on leur pose des questions et publient une pétition aussi outragée que ridicule.

C’est alors que se jettent sur l’occasion des journalistes de France Info, France Inter et France Culture : les manipulations militantes de la page du Point sur Wikipédia (censée être neutre) n’étaient pas un sujet pour eux, la protestation des auteurs de ladite manipulation contre notre enquête journalistique en est un ! Bravo. Le tout, bien sûr, sans jamais se donner la peine de jauger, même de loin, la crédibilité de ces accusations anonymes. Citons-en une : selon Wikipédia, notre journal serait proche de la « droite identitaire ». Ah bon ? Celui-là même qui a appelé à faire battre les Le Pen père et fille en 2002, en 2017 et en 2022 ? Pourtant, c’est plutôt facile à vérifier… Simple paresse ou envie d’y croire ?

La palme revient à France Culture, dont le journaliste égrène les reproches délirants que l’on nous fait sans la moindre réserve, le moindre doute, comme s’ils étaient parfaitement plausibles, se sentant à l’aise parce qu’il nous a donné la parole. Une minute pour chacun. Un naufrage pour le journalisme.

Étienne gernelle


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Wikipédia dans Médias : Internet, Transgenres dans Femmes-hommes,
le communiqué Sur Wikipédia, on liquide les laïques (collectif, 23 mars 18), la note de lecture Wikipédia, un faux ami ? (E. Marquis) (note de la rédaction CLR).


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