Revue de presse

Cantines : à Villeurbanne, jetons verts pour les "sans-viande", jaunes pour les "sans-porc" (lepoint.fr , 1er nov. 12)

3 novembre 2012

"D’abord, il y a eu ces remarques d’enfants âgés d’à peine 3 ans, qui, chaque fois qu’on leur lisait "Les trois petits cochons", s’écriaient, révulsés : "C’est dégoûtant." Révulsés non par le grand méchant loup, mais par les protagonistes pourtant inoffensifs de l’histoire : les petits cochons, des animaux jugés "impurs" par les parents de ces enfants. Ensuite, il y a eu ces poubelles qui, les jours de fête d’anniversaire, s’emplissaient mystérieusement de bonbons jetés par les enfants de 7 ans parce qu’ils contiennent de la gélatine de porc. "C’est à cause de notre religion", se justifient-ils. A Chanteloup-les-Vignes (78), Natalia Baleato, la directrice de la crèche Baby Loup, ne s’étonne même plus. Elle le confesse, portes closes : "Le fait religieux s’est peu à peu immiscé dans la vie de la crèche ." Jusque dans les cuisines, où les bouteilles de vinaigre se volatilisent parce qu’elles contiennent du vin et où les couteaux qui ont servi à couper une viande non certifiée sont écartés."Dans nos quartiers, des groupes exercent des pressions sur le personnel de la crèche", ajoute sa collaboratrice.

En 2008, une polémique s’était abattue sur la crèche, épinglée par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), pour avoir licencié Fatima, qui, de retour après deux congés parentaux et six ans d’absence, refusait d’ôter son voile (voir Le Point du 15 juillet 2010). Le tribunal administratif a fini par donner raison à la crèche. Depuis, Natalia Baleato tient bon. Mais elle les a entendues, ces collègues, avouer qu’elles avaient cédé ici à un steak certifié, là à des petits pots halal, pour arranger une maman. A ces demandes Natalia Baleato s’est, elle, toujours fermement opposée. Question de principes.

Crispations. "Au nom du vivre-ensemble, aucune différence ne peut être tolérée, le repas doit être le même pour tous." Seule exception possible : la contre-indication médicale, dont se servent certains parents avançant, certificats à l’appui, d’improbables allergies à la viande. La directrice le répète, intraitable : "Je ne céderai à aucune croyance. La crèche est soumise à un règlement intérieur : on y adhère ou on la quitte."

Ces crispations communautaires ont trouvé un terrain de jeu plus conciliant du côté des écoles publiques et de leurs cantines, où des plats de substitution ont été mis en place les jours où le porc est au menu. Après son tour de France des établissements scolaires, Caroline Bray, auteure pour le Haut Conseil à l’intégration (HCI) d’un rapport sur "Les défis de l’intégration à l’école"( remis au ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, en 2011), dit "être tombée des nues". "Avec l’adoption de menus sans porc, des tables séparées se sont créées et des groupes se sont formés", constate-t-elle.

Ces regroupements, Helios Privat, ancien proviseur du lycée Jean-Baptiste-Corot, à Savigny-sur-Orge (91), reconnaît les avoir encouragés, dans un seul but : "Faciliter et optimiser le service." "Notre réfectoire accueillait près de 2 000 demi-pensionnaires et les salles "musulmanes" pouvaient atteindre jusqu’à 180 élèves." C’était il y a une quinzaine d’années. A l’époque, il était loin d’imaginer qu’elles alimenteraient un communautarisme sans cesse plus vindicatif, véritable entorse au vivre-ensemble.

Dans ces groupements par "affinités religieuses", la pression est forte. Et nombreux sont les enfants à se sentir obligés, par crainte d’être traités de "mauvais musulmans", de refuser du porc. Fait nouveau et plus inquiétant, ils désertent les cantines, pour des raisons non pas financières, mais religieuses. Le problème, ce n’est plus seulement le porc, mais la viande, que certains enfants refusent dans leurs assiettes parce qu’elle n’a pas été préparée selon les rituels halal. Certains vont jusqu’à bouder les légumes qui les accompagnent.

A l’extérieur, la demande se fait pressante et les pétitions en faveur de menus halal se multiplient. De Lyon à Aulnay-sous-Bois, où elles ont recueilli jusqu’à 1 500 signatures. Pour l’heure, seule Strasbourg aurait cédé, dans les cantines de ses écoles, aux sirènes du halal : son statut de concordat l’y autorise. Ailleurs, servir un plat préparé selon des règles religieuses n’est en principe pas toléré. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, le rappelle en août 2011 : "La cantine scolaire est un service public facultatif (...).Le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités."

Dans ce brouillard législatif, les maires, responsables des cantines, s’embourbent dans des questionnements insolubles : faut-il, au nom de la laïcité, opter pour un même repas pour tous et en priver certains élèves ? Ou, au nom de cette même laïcité, prévoir des aménagements spécifiques ? Epineux. Alors, ils bricolent des solutions. Parfois avec l’aide des religieux. A commencer par l’Union des associations musulmanes, qui, en Seine-Saint-Denis, entonne cette ritournelle consensuelle : "Dans les cantines, le halal est techniquement difficile à mettre en place, reconnaît M’Hammed Henniche, secrétaire général de l’association.Il faut sortir de ce piège et trouver une autre voie ." La dernière trouvaille ? Les plats sans viande, que le maire (PS) Gérard Ségura a fini par inscrire aux menus de ses cantines, à Aulnay-sous-Bois. Histoire de s’assurer la paix sociale. Et des voix aux élections municipales ? Le maire n’a pas répondu au Point.

A Lyon, c’est la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) qui, saisie par des familles musulmanes, a décidé de réunir autour d’une table les différents cultes et associations (Ligue des droits de l’homme, Ligue de l’enseignement) pour définir les bases d’"une cantine laïque et républicaine". Sans viande, encore une fois. Résultat, quatre ans plus tard, "2 000 élèves sont revenus à la cantine et les demandes halal ont disparu, assure Patrick Kahn, président de la Licra du Rhône.C’est une victoire de la laïcité sur la religion". Ce n’est pas l’avis de l’association Regard de femmes, qui a poursuivi, en vain, la municipalité devant le tribunal administratif, dénonçant "une ségrégation alimentaire qui rappelle les pires heures de l’apartheid".

Engrenage. A Villeurbanne, on préfère dissimuler la question religieuse derrière... l’épidémie de la vache folle, qui aurait, selon le maire (PS), Jean-Paul Bret, motivé l’adoption du dispositif, qui "fait un carton auprès des végétariens", avance-t-il sans rire. Mais a-t-il apaisé les tensions et les pressions ? "Villeurbanne n’en connaît pas, jure-t-il.La diversité fait partie de notre identité. Elle a toujours été un facteur d’enrichissement ." Pourtant, c’est bien pour "éviter les stigmatisations", comme disent les responsables municipaux, qu’a été mis en place un dispositif qui devrait faire bondir n’importe quel laïque : des jetons de couleur que chaque élève doit déposer sur son plateau. Ils sont bleus pour les "menus standard", verts pour les "sans-viande", jaunes pour les "sans-porc". [...]"

Lire "La bataille des cantines".


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