Tribune libre

L’école du déni (J.-P. Sakoun)

21 janvier 2016

L’élément qui permet de repérer immédiatement les prises de position de ceux qui se rattachent a ce que l’on pourrait qualifier d’« école du déni », c’est la permanence du réflexe d’atténuation – et ce n’est pas pour rien que j’utilise le mot école.

Toute critique frontale de l’islamisme déclenche, à gauche, dans deux courants qui peuvent se rencontrer mais qui ne sont pas exactement superposables, cet automatisme de la minimisation.

Ces courant sont celui des tenants des droits de l’homme comme principe unique de l’action dans la société, et celui des tenants d’un marxisme détourné souvent de manière inconsciente, dans lequel la classe ouvrière, qui a disparu des terrains de l’action politique de masse et que les marxistes considéraient comme la « classe messianique » porteuse de la Révolution et de l’émancipation, est remplacée par une « ethnie messianique » [1].

Dans une grande confusion mentale, ces postmarxistes l’assimilent aux « arabo-musulmans ». Quand on y réfléchit, d’ailleurs, c’est une position incroyablement paternaliste et pour le coup postcoloniale alors que c’est cette accusation que cette gauche postmarxiste passe son temps à faire peser sur les laïques. En effet, il y a une confusion complète entre une origine ethnique « arabe » et une pratique religieuse « musulmane », qui ne tient compte ni des non-arabes que sont les kabyles ou berbères, majoritaires en France, ni de tous les arabes, kabyles, berbères, qui ne sont pas musulmans, pas croyants, pas pratiquants, républicains, laïques, etc. Ce sont bien ces postmarxistes de la gauche de la gauche qui essentialisent cette population et l’assignent à une identité et une seule, la séparant du reste de la communauté nationale. Le terme d’"islamophobie" en est la marque la plus visible, remplaçant clandestinement le concept de racisme anti-arabe par celui de blasphème antireligieux…

Or la position « droits-de-l’hommiste » comme la position « messianique » naissent de la vision du monde propagée depuis plusieurs décennies par une école qui refuse de jouer son rôle d’émancipation au profit d’un point de vue compassionnel sur les individus. C’est pour cela qu’il est si difficile de faire comprendre aux moins de 40 ans qui sont tombés dedans dès leur plus jeune âge, que la « marmite compassionnelle » leur sert un brouet certes auto-valorisant (nous sommes bons, à l’écoute, bref religieux) mais totalement aliénant et désocialisant, pour eux comme pour « leurs victimes » (au sens où l’on disait « mes pauvres » à l’église)…

Ces deux positions constituent ainsi un mur aveugle sur lequel viennent se briser des observations de simple bon sens.

La forme prise par ce refus absolu de voir et d’entendre se traduit donc par le fait que chaque fois que l’on aborde le problème de l’islamisme djihadiste, les « compatissants » convoquent immédiatement des exemples venus d’autres questionnements et destinés à minimiser, enfouir, relativiser la menace en la comparant avec des notions qui n’ont rien à voir, de manière à démontrer qu’elle n’a rien de spécifique.

Ainsi, une phrase générique, que l’on pourrait entendre partout, telle que « je crois qu’on a de bonnes raisons de combattre l’islamisme comme tout extrémisme religieux qui cherche en effet à imposer partout sa vision théocratique en général et sa répression sur les femmes en particulier. Ce n’est d’ailleurs pas propre à l’islam… », déplace mécaniquement le problème de l’IslamISME à l’Islam puis de l’Islam aux autres religions. Or aujourd’hui, en France, ce n’est pas le christianisme ni le judaïsme ni le bouddhisme qui tue. Ce ne sont ni des catholiques, ni des juifs, ni des bouddhistes, ni des quakers qui assassinent des journalistes, des militaires, des juifs, adultes et enfants dans des écoles, des citoyens paisibles buvant des coups à la terrasse d’un café ou écoutant un groupe de rock. Ce sont des djihadistes salafistes islamistes tenants d’un islam fanatique.

Leur intention n’est pas religieuse, elle est POLITIQUE. Le djihadisme et son double civilisé – de moins en moins – que sont les frères musulmans, sont bien, j’y insiste, des entreprises POLITIQUES destinées à asseoir l’islamisme théocratique comme base des sociétés dans lesquelles vivent les musulmans, la plupart du temps contre l’avis de ceux-ci. On sait bien que le plus grand nombre de massacrés par les barbares islamistes sont les musulmans eux-mêmes, en commençant par les progressistes et les femmes. Ces menées appuyées sur des visions intégristes extrémistes de l’islam s’inscrivent dans un projet politique. Il suffit de lire le récent livre de Giles Kepel, parmi des dizaines d’autres, pour le comprendre absolument.

C’est à la lumière de cette réalité que l’on peut vraiment comprendre les catastrophes civilisationnelles qui ont émaillé l’année 2015 et le début de 2016 en Europe, de Charlie à Cologne, en passant par le Bataclan, etc.

Or, je le redis avec beaucoup d’inquiétude, la manie compassionnelle rend aveugle à cette cohérence dans le meilleur des cas ; dans le pire des cas, elle rend complice, au nom du long sanglot de l’homme blanc et de l’obligation une fois de plus religieuse et en aucun cas citoyenne et laïque, du repentir, de la punition, de la rédemption…

Le paradoxe et le retournement sont absolus. Les fanatiques djihadistes islamistes ont une vision et des visées politiques ; les Européens laïcisés et démocrates n’ont plus que des réactions religieuses.

J.-P. Sakoun



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