Contribution

Gare à l’esprit munichois ! Réponse à Alain Policar (Ch. Coutel, 16 mars 16)

par Charles Coutel, professeur émérite des universités en philosophie politique, vice-président du Comité Laïcité République. 16 mars 2016

La réponse d’Alain Policar à la courageuse tribune de Patrick Kessel, président du Comité Laïcité et République (CLR), en date du 25 février 2016, étonne et surprend. On peut et on doit toujours dénoncer les simplifications et les raccourcis qui appauvrissent le débat, notamment sur la laïcité. Encore faut-il le faire avec pertinence et ne pas être schématique soi-même devant le prétendu simplisme de « l’adversaire ».

En pourfendant les complaisances communautaristes et électoralistes de certains élus, parfois de gauche, qui confondent la tranquillité du moment et la paix à long terme, Patrick Kessel reprend et développe des analyses réfléchies et argumentées depuis des années par ceux qui nous mettent en garde contre les manipulations électoralistes qui en arrivent à ethniciser les campagnes électorales et à cautionner les dérives cultuelles du culturel. L’offensive salafiste actuelle est une évidence dans les partis, les syndicats ou les associations, notamment sportives ou étudiantes. Pour dénoncer la tentation du déni, Patrick Kessel a raison d’en appeler à la tradition des Lumières, car elle est porteuse d’une approche critique des fanatismes : pour un Voltaire, un Diderot, un Condorcet, le fanatique est un homme superstitieux qui se croit habilité à venger une divinité outragée ou caricaturée. La tradition républicaine, héritière de ces Lumières, est donc anticléricale mais non antireligieuse. De cela Alain Policar ne parle guère.

Un contresens étonnant sur la neutralité de l’État républicain

En proclamant la laïcité de la République et la Séparation des Églises et de l’État, un Jules Ferry et un Ferdinand Buisson entendaient affirmer la neutralité de l’État sur les plans politique et confessionnel mais non sur le plan philosophique. Cette tradition fait de l’éducation à la rationalité scientifique le complément indispensable d’une éducation à la laïcité. L’école de la République ne doit pas rester muette devant les énoncés superstitieux qui peuvent encore se trouver dans toute foi religieuse. Les maîtres, dans leur classe, voient tous les jours des jeunes désemparés victimes d’un providentialisme souvent apocalyptique ou encore des théories du complot. Ces superstitions se mêlent aux convictions. Faudrait-il ici rester neutre ? Le récent Livret de la laïcité, rédigé à la hâte, n’en souffle mot. Alain Policar se croit donc autorisé à défendre cette approche non critique de la neutralité.

Avec lui, méditons cette formule d’Edgar Quinet, datant du 19 septembre 1853 : « Notre pays a toujours été superficiel jusque dans ses fureurs ; il serait bien temps enfin de se remettre sur la piste des véritables ennemis ».
Quel meilleur avertissement contre l’esprit munichois qui consiste à se rendre avant d’avoir combattu ? C’est ne garder du drapeau tricolore que la couleur blanche.

Pour un choc de rationalité et de laïcité

Ce contresens sur la neutralité s’accompagne d’un redoutable sophisme qui fragilise toute l’argumentation : cédant peut-être à la vulgate sociologisante, Alain Policar en arrive à la formule suivante : « un partisan de la laïcité doit être capable d’admettre que l’on puisse renoncer de façon autonome à l’autonomie » (sic !). Oubliant les avertissements d’un La Boétie ou d’un Tocqueville, l’auteur fait plus que de se fourvoyer, il révèle l’âme du déclinisme actuel. Car enfin, renoncer d’une manière autonome à l’autonomie… n’est-ce pas dire que l’on n’est déjà plus autonome ? C’est oublier encore l’avertissement d’un Clemenceau : « Il n’y a pas de liberté de l’esclavage, il y a la liberté ou l’esclavage ». Relisons ensemble les épisodes du Candide de Voltaire, montrant l’ampleur de la soumission forcée des femmes. Alors, pourquoi vouloir en rajouter une couche aujourd’hui ?

Cette tentation munichoise séduira tous ceux qui en appellent, après les attentats de 2015, à la résilience au lieu d’entrer activement en résistance, comme nous y invite Patrick Kessel ; avec lui, retrouvons l’esprit des FFI et des FTP. Cependant, les arguments fallacieux d’Alain Policar ne seraient même pas formulables si la puissance publique n’entretenait pas, depuis des années, un certain relativisme devant la raison scientifique présentée comme une opinion à placer sur le même plan que les convictions personnelles (Livret de la laïcité, p. 16 et 17).
Alain Policar semble pris dans le réseau très serré d’une pensée conformiste qui situe l’individu dans le seul horizon obligé de ses appartenances (sociales, religieuses, culturelles). C’est confondre l’universel avec le général. Il n’y aurait dès lors comme choix que de subir passivement ces liens ou de les accepter activement. Or dans une république laïque le lien civique, porté par l’aspiration à l’universel, questionne et critique le lien social. Après de biens décevants « chocs » de responsabilité ou de flexibilité, nous attendons toujours de la puissance publique un indispensable « choc » de rationalité, de liberté, de laïcité et d’hospitalité. Remettons à leur place tous ces « sociologues » qui, trop proches du pouvoir, en accompagnent et en justifient les renoncements et les trahisons.

En taxant Patrick Kessel de « simplisme », Alain Policar occulte la portée émancipatrice des Lumières dans la philosophie républicaine. Je lui suggère de ne pas se reconnaître dans l’actuel kit du prêt-à-penser : républicanisme = colonialisme = nationalisme = scientisme = occidentalocentrisme = islamophobie = racisme = laïcisme. Aujourd’hui, l’inculture au plus haut niveau grippe le récit national qui pourrait nous débarrasser de tous ces contresens et raccourcis.


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