Revue de presse

"Écoles hors contrat : les territoires perdus de l’Éducation nationale" (Charlie Hebdo, 9 mars 22)

15 mars 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Un monde qui se répartit par « races », Vichy qui n’est pas enseigné... Voilà quelques-unes des dérives qui ont cours dans plusieurs écoles hors contrat en France, notamment chez les ultracathos. Le Comité national d’action laïque (Cnal), qui milite pour la laïcité à l’école, a lancé une grande enquête sur ces établissements privés, en demandant de consulter leurs rapports d’inspection, jamais rendus publics jusque-là. Nous avons pu les consulter en exclusivité. Malgré plusieurs manquements manifestes, certaines écoles continuent d’accueillir des enfants. En plus, bien que hors contrat, elles sont financées en partie par de l’argent public.

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L’intérêt pour les établissements scolaires hors contrat est en plein boom, et ce d’autant plus depuis que l’école à la maison, soumise à autorisation, est devenue plus compliquée avec la loi contre le séparatisme. Ainsi, à la rentrée 2021, 122 nouvelles écoles hors contrat se sont créées, comme s’en félicite sur son site Internet la Fondation pour l’école, organisme qui finance les écoles privées hors contrat. Il n’existait que 803 établissements privés hors contrat en 2010, il y en ­aurait 1 800 aujourd’hui, mais il est difficile d’avoir des chiffres précis [1]. Elles concerneraient 85 000 enfants sur 12 millions d’élèves.

Ces écoles peuvent être très différentes, confessionnelles ou adeptes de pédagogies alternatives, comme Steiner ou Montessori. Elles ne sont pas obligées de suivre le programme de l’Éducation nationale, mais elles doivent respecter un « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », précisé par le Code de l’éducation. Or celui-ci est loin d’être suivi, comme le montrent les rapports d’inspection que nous avons pu consulter. « La liberté de l’enseignement ne doit pas être prétexte à un enseignement de mauvaise qualité », dénonce Rémy-Charles Sirvent, secrétaire général du Cnal et secrétaire national du SE-Unsa, organismes à l’origine de l’enquête.

C’est une première d’avoir accès à autant de rapports d’inspection d’écoles hors contrat, qui d’ordinaire ne sont pas communiqués. À partir de janvier 2021, le Cnal a adressé à chaque inspection académique une demande officielle de transmission du dernier rapport d’inspection de ces établissements (qui sont tous soumis à au moins une inspection la première année). En cas de refus, le Cnal a saisi la très utile Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), qui a donné son feu vert pour toutes les demandes. Au final, il a réussi à en obtenir 164, soit presque 10 % des écoles. Dans le détail : 14 établissements de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (sur 59), 26 d’écoles ultracatholiques (hors Saint-Pie-X, sur 140), 52 écoles Montessori (sur 384). Pour d’autres types d’écoles – Steiner, Espérance banlieues ou musulmanes –, ils n’ont obtenu qu’une poignée de rapports, nous y reviendrons.

Les rapports d’inspection que nous avons pu consulter sont édifiants. Concernant les cathos hors contrat, qu’ils soient affiliés à Saint-Pie-X (catholiques intégristes) ou non, les inspecteurs constatent que plusieurs éléments du socle pédagogique ne sont pas enseignés ou le sont mal : ils dénoncent un déficit dans la formation à l’esprit critique, dans l’acquisition de démarches scientifiques, et des amalgames fréquents entre histoire et religion. Ainsi, à l’école Sainte-Marie, à Saint-Père-Marc-en-Poulet (35), affiliée à Saint-Pie-X, il est écrit dans un cahier de lycée que « le projet de l’Encyclopédie était au fond le fruit d’une conspiration dont le but caché était l’anéantissement de toute religion et le renversement de toute autorité ». À l’école traditionaliste Notre-Dame-du-Rosaire, à Saint-Macaire (33), dans un rapport d’inspection en date du 15 décembre 2020, on peut lire : « Les valeurs de la République n’apparaissent pas dans les traces écrites des élèves du premier degré. Le manuel d’histoire support de cet enseignement accorde une très faible place aux personnages qui ont façonné la République. Le général de Gaulle n’est ainsi pas une figure historique à retenir dans ce manuel. » En revanche, « le maréchal Bugeaud apparaît comme le personnage grâce à qui les Arabes ont pu apprendre à développer leur agriculture en Algérie […]  ». Et pire encore, « le rôle de Vichy dans l’extermination des Juifs est mis sous silence, et ce génocide n’est d’ailleurs pas mentionné dans le traitement de la Seconde Guerre mondiale ». On peut lire aussi : « L’histoire est vue au travers du prisme de la religion catholique dans son expression traditionaliste, avec notamment des focales sur les guerres de Vendée au collège comme au lycée. » À l’école l’Immaculée Conception, à Domezain-Berraute (64), « le support de géographie porte une vision marquée par une représentation du monde par races humaines (Noirs, Blancs), qui pose un souci majeur de conception erronée scientifiquement et potentiellement raciste ou a minima racialiste ».

Dans ces écoles, les classes sont parfois non mixtes, un rapport montre que des responsabilités proposées aux garçons sont refusées aux filles. « Les filles ne déjeunent pas dans la même salle de restauration que les garçons, elles ne sont pas autorisées à participer aux groupes de responsabilité », peut-on lire. Sans surprise, les cours d’éducation sexuelle sont totalement absents, mais aussi souvent l’éducation physique et sportive, de même que celle aux médias et à l’information. Que ce soit dans les établissements scolaires Saint-Pie-X ou dans d’autres ultracathos, les manuels sont très anciens. À l’école privée Sainte-Marie, à Saint-Père-Marc-en-Poulet, « les traces des élèves font apparaître exclusivement des exercices d’entraînement visant l’automatisation des connaissances et appui sur des manuels des années 1950 et 1960 au lexique parfois éloigné du vocabulaire d’aujourd’hui ». Dans le rapport de l’école hors contrat Saint-Projet, à Bordeaux (33), le manuel de lecture en CP date de 1965.

Quel est l’impact de ces inspections  ? À chaque fois, les inspecteurs se bornent à demander de mettre en oeuvre certaines recommandations, avant un prochain contrôle. Reste à savoir s’ils auront lieu. Comme le dénonce le Cnal, certaines inspections qui révèlent des manquements ne sont jamais suivies d’autres contrôles, et l’école continue ainsi d’accueillir des élèves sans modifier son enseignement. Après deux visites faisant état des mêmes problèmes, dont une dernière le 11 mars 2021, une notification est adressée à la directrice de l’école Saint-Martin, à Niort (79), pour lui demander « d’y remédier dans un délai de quinze jours ». Qu’en est-il depuis  ? Contacté par Charlie, le rectorat n’est pas revenu vers nous. Pourtant, le rapport est consternant : il pointe « une appartenance à la communauté religieuse qui prime sur le sentiment d’appartenance à la société ». Dans cette école, le 11 Novembre n’est pas l’armistice, mais l’occasion de faire une sortie pour célébrer saint Martin  !

Reste que ces rapports obtenus par cette démarche ouverte ne sont probablement pas les pires. Le Cnal n’a eu que 10 % des rapports de l’ensemble des écoles. « Si cela constitue une base de travail significative, cela démontre combien l’administration de l’Éducation nationale est rétive à la transparence sur cette question », déplore le Cnal. « Visiblement, la transmission des rapports concernant les établissements musulmans, juifs et appar­tenant à la mouvance Steiner-Waldorf se heurte à des refus. » « Si on ne les a pas reçus, c’est que c’est un sujet sensible », ajoute Rémy-Charles Sirvent. Nous avons demandé au ministère de l’Éducation nationale les raisons pour lesquelles aucun rapport de ce type d’établissement n’a pu être transmis. La réponse est sibylline : « Les rapports qui ne peuvent être commu­niqués sont ceux dont la procédure de contrôle est encore en cours. » C’est une réponse « curieuse », estime Rémy-Charles Sirvent, « puisque nous en avons reçu pour qui les préconisations étaient déjà anciennes, sans qu’il y ait eu de résolution depuis ». En tout cas, les écoles Steiner (une vingtaine en France) pourraient poser problème, de par leur remise en cause de la science et leur aspect ésotérique. Nous vous avions parlé d’une école Steiner à Bagnères-de-Bigorre (65) qui avait fermé à la rentrée. Nous avions nous-même lancé en début d’année scolaire une demande auprès du ministère pour obtenir des rapports d’inspection des autres écoles Steiner, sans succès.

Le Cnal n’a obtenu quasiment aucun document concernant des établissements musulmans hors contrat (au nombre de 62 en France), qui peuvent pourtant parfois s’apparenter à des écoles coraniques. Récemment, un documentaire diffusé sur M6 montrait plusieurs dérives dans une école musulmane nommée IDEAL, à Marseille : certaines matières étaient occultées, comme en SVT avec les cours sur la reproduction, aucun cours d’art ni de musique, le Coran pour unique livre d’apprentissage de la langue arabe. L’établissement abritait même en son sein une école clandestine, hors la loi. Mais impossible au moment où l’on boucle de savoir si cette école fait l’objet de mesures particulières depuis. Décidément, c’est un domaine où la transparence n’est pas de mise.

On le voit, les écoles hors contrat peuvent conduire à des dérives, ou du moins à des enseignements bien peu respectueux du socle commun de connaissances. La loi Gatel de 2018, puis la loi dite contre le séparatisme ont permis aux autorités de davantage contrôler ces écoles et de les fermer plus facilement. Certaines, comme l’école Al-Badr, à Toulouse (31), avaient donné lieu à plusieurs années de contentieux avec l’État. La loi contre le séparatisme a créé un régime de fermeture administrative des écoles non déclarées ou qui n’ont pas remédié aux défaillances constatées par l’administration. Mais pour le Cnal, ce n’est pas suffisant, et c’est prendre le problème à l’envers. « On pourra toujours durcir les contrôles, une fois qu’elle est ouverte, c’est trop tard, et les pouvoirs publics sont mis devant le fait accompli », alerte Rémy-Charles Sirvent. Plutôt que guérir, mieux vaut prévenir et éviter des ouvertures d’écoles hors contrat, qui poussent comme des champignons. Le Cnal dénonce une trop grande facilité pour ouvrir ce type d’établissement. En effet, l’école doit seulement assurer que « l’objet de l’enseignement répond aux attendus du socle commun de connaissances, de compétences et de culture », sans plus de précisions. Le Cnal préconise donc une modification de la loi en la matière (lire ci-dessous).

Le positionnement du ministère est bien flou sur ce sujet. Jean-Michel Blanquer se montre volontariste quand les écoles hors contrat participent du séparatisme islamiste. Il a annoncé début janvier avoir fermé 12 écoles hors contrat ces deux dernières années, mais le ministère n’a même pas pu nous préciser de quel type d’école il s’agit. En parallèle, il nomme Mark Sherringham à la tête du Conseil supérieur des programmes (CSP). Nomination symbolique : ce haut fonctionnaire est un fervent défenseur des écoles hors contrat. Le livre L’École hors de la République. Enquête au coeur des réseaux de l’enseignement parallèle révélait qu’il avait fait pression pour que des élèves d’une école hors contrat ultracatho obtiennent le bac alors qu’ils n’avaient pas le niveau… Les écoles hors contrat ont encore de beaux jours devant elles.

Montessori : un label pas toujours très regardant

Les écoles Montessori ont parfois une image plus « moderne » et adaptée aux enfants. L’étude du Cnal, qui porte sur 52 rapports d’inspection de ces écoles, permet de voir qu’elles aussi présentent des failles. Parfois, il y a un hiatus entre ce que proposent les écoles sur leur présentation « marketing » et la réalité. « Le terme d’innovation annoncé dans le projet d’école ne correspond à aucune réalité effective dans l’établissement », souligne un rapport concernant une école du Var. Les choix pédagogiques laissent à désirer : « Mme T. a évoqué la nécessité pédagogique de laisser la créativité littéraire s’exprimer, sans imposer de règles orthographiques qui pourraient la restreindre » (pour un établissement de Meurthe-et-Moselle). « En lecture, seul un élève présente un niveau acceptable pour son âge » (une école dans les Vosges). Plus généralement, un « manque d’abstraction » dans ces écoles fait que « si les enfants ne sont pas issus d’un milieu stimulant, ces écoles ne pourront pas leur apporter matière à réflexion », dénonce le Cnal. Les enseignants, appelés ici « éducateurs », ne sont pas suffisamment formés, selon plusieurs rapports. Il n’y a pas nécessité d’avoir le certificat d’aptitude au professorat des écoles pour enseigner dans une école Montessori (comme pour tous les établissements hors contrat, d’ailleurs  !). Le nom « Montessori » n’est pas protégé, aussi « les écoles peuvent s’en réclamer pour des raisons mercantiles sans compétences pédagogiques avérées », souligne le rapport du Cnal. Parfois se cache d’ailleurs sous l’appellation « Montessori » tout autre type d’école. Ainsi, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône enquête notamment sur une école Montessori qui serait en fait une école musulmane avec
un fort repli communautaire.

Les solutions du Cnal

Face à ces constats, le Cnal propose plusieurs recommandations.
– Comme pour la réglementation qui régit l’instruction en famille, l’ouverture d’un établissement hors contrat doit passer d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation.
– Lors de sa création, le projet pédagogique doit faire partie intégrante du dossier de l’école, pour éclairer les pouvoirs publics sur son orientation. Aujourd’hui, une école n’a même pas besoin de préciser quelle est l’orientation pédagogique, philosophique, religieuse de son enseignement.
– Le préfet doit pouvoir prononcer la fermeture d’un établissement dès lors que l’acquisition du socle commun et des valeurs de la République est défaillante.
– Le Cnal incite les parents à exiger la consultation des rapports d’inspection avant de scolariser leur enfant dans une école hors contrat."

Lire "Écoles hors contrat : les territoires perdus de l’Éducation nationale".

[1Lire L’École hors de la République. Enquête au coeur des réseaux de l’enseignement parallèle, d’Anna Erelle et Jacques Duplessy (éd. Robert Laffont).



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