Revue de presse

B. Rougier : « Les islamistes ont leur interprétation propre de la crise sanitaire » (Le Figaro, 27 av. 20)

Bernard Rougier, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, auteur de "Les Territoires conquis de l’islamisme" (PUF). 7 janvier 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le directeur du Centre des études arabes et orientales (Ceao) analyse la manière dont les musulmans perçoivent le confinement en France alors que le ramadan a commencé. Si la majorité d’entre eux, respecte les mesures de confinement au nom de l’intérêt général, les courants islamistes et indigènistes font entendre leurs discours de sécession.

Par Alexandre Devecchio

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LE FIGARO. - Le ramadan a débuté. Comment se déroule-t-il compte tenu de la crise sanitaire ?

Bernard ROUGIER. - Le ramadan intervient dans un contexte exceptionnel. La commémoration du mois sacré où le Coran est « descendu » sur Mohammed représente un moment de forte convivialité pour la plupart des musulmans en France et dans le monde, même chez les non-pratiquants. Tous aiment à se retrouver en famille lors du dîner de rupture du jeûne (iftar), tandis que les plus religieux vont à la mosquée pratiquer les prières collectives (tarawih). Or les conditions du confinement - sorties interdites sauf dérogations, fermeture des mosquées - rendront beaucoup plus difficiles les expressions de solidarité dont témoigne habituellement ce temps sacré.

La situation est tendue dans certaines banlieues, comme on l’a vu à Grigny (Essonne) ou Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Quelles conséquences peut avoir le ramadan sur ce plan ?

Même s’il constitue l’un des cinq piliers de l’islam, le jeûne du ramadan n’a pas eu pour effet d’apaiser les conflits dans un passé récent. Au contraire, il a souvent été l’occasion d’une résurgence des actes de violence chez les groupes djihadistes en Irak ou en Syrie. Dans un autre contexte, en France, il n’avait pas empêché la poursuite des émeutes en 2005. Sur le plan religieux, cette fête a souvent été le prétexte à des affrontements entre différentes instances islamiques afin de savoir qui pouvait fixer avec autorité le début de ce mois sacré. L’incident de Villeneuve-la-Garenne, au cours duquel un jeune motard a été blessé par une voiture de police dans la soirée du samedi 18 avril, relance ce que j’appelle « la petite musique de la dissociation » visant à miner de l’intérieur la légitimité des institutions républicaines. Son exploitation sur les réseaux sociaux fait le lien entre les différents courants (islamistes, indigénistes, gauchistes) qui s’accordent à décrire, pour mieux le dénoncer, un État selon eux résolument hostile aux musulmans, aux minorités visibles, aux jeunes, aux banlieues. La note départementale adressée ce week-end aux policiers du Calvados leur demandant « de ne pas intervenir dans les quartiers à forte population musulmane suivant le ramadan » s’inscrit dans ce contexte : il s’agit pour le gouvernement d’empêcher de fournir un prétexte à tous ceux qui rêvent de refaire en 2020 les émeutes de 2005 en exploitant le double calendrier « confinement/ramadan ».

Considérons maintenant le confinement. Si la majorité des musulmans le respecte, qu’en est-il des islamistes ? Comment interprètent-ils le Covid-19 ?

Parmi les musulmans, les attitudes varient de l’acceptation citoyenne au déni religieux. La plupart des musulmans et des imams respectent les mesures de confinement au nom de l’intérêt général. Mais les dissidences n’ont pas manqué. Au début, des prédicateurs salafistes ont privilégié la thématique de la punition divine. Pour eux, la maladie s’est abattue sur le monde parce que les hommes renâclent à accepter le message de l’islam. Dans une mosquée du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), juste avant le confinement, l’imam expliquait à ses ouailles que « chaque fois que la turpitude se répand, comme la fornication et la dissolution des mœurs, Allah envoie des calamités inconnues ». Aux Mureaux (Yvelines), à la même période, un cheikh a fait un cours sur l’épidémie en insistant sur le fait que le coronavirus était la « maladie des mécréants ». D’après lui, la liste des pays les plus touchés par l’épidémie traduisait une volonté divine : les Chinois méritaient la punition d’Allah pour ce qu’ils font subir aux Ouïgours ; les Iraniens payaient leur appartenance à l’« hérésie chiite » ; la France récoltait ce qu’elle méritait en qualité de « pays athée et mécréant » qui interdit le voile intégral et ferme les mosquées, etc.

La fermeture des mosquées a été mal vécue pour certains, décrite comme une persécution supplémentaire « pour empêcher les musulmans de prier ensemble pendant le ramadan ». Des prières clandestines ont eu lieu, comme dans l’arrière-boutique d’un supermarché entre Tremblay et Villepinte (Seine-Saint-Denis), fin mars, ou dans des appartements privés aménagés pour l’occasion, notamment parmi les membres de l’organisation piétiste du Tabligh.

La frange djihadiste n’est pas en reste. Des djihadistes francophones installés en Syrie ont même créé un hashtag au titre évocateur, #coronasoldatsdAllah, pour expliquer le taux de contamination - deux tiers de cas déclarés positifs - parmi les marins du porte-avions Charles-de-Gaulle . Le Covid-19 a, selon eux, les effets foudroyants d’un châtiment divin après la participation du bâtiment à la guerre contre l’organisation État islamique en Syrie et en Irak.

En quoi consistent les préconisations des islamistes pour lutter contre le virus ? Comment expliquer que certains voient dans les recommandations des pouvoirs publics une sorte de victoire ?

Selon les différents courants qui se réclament de l’islamisme, le remède réside naturellement dans le retour à l’islam intégral. C’est l’occasion pour eux de souligner les bienfaits de la pratique rituelle : les ablutions cinq fois par jour avant les cinq prières sont censées être suffisantes pour protéger l’individu du virus. De même, la nécessité de se laver les mains avant et après les repas était préconisée par une série de hadiths (actes et paroles attribués au Prophète, relatives à des commentaires du Coran ou à des règles de conduite, NDLR). Enfin, ces prédicateurs voient dans la nécessité médicale de porter un masque contre la contagion une forme de ralliement rétrospectif à l’obligation religieuse de porter le hijab (voile islamique). Ce prétendu paradoxe est souvent commenté sur les réseaux sociaux de l’islamosphère : « Enfin, ils se rangent à notre point de vue après l’avoir combattu avec acharnement au nom de la laïcité ! Les médecins préconisent le voile, ils disent : “Le meilleur moyen de lutter contre le coronavirus est de se voiler !” Maintenant, tout le monde se couvre la tête, le nez, la bouche, les mains ! La sunna (voie prophétique) est le chemin de la vérité ! »

Pourtant, le caractère dramatique de la crise sanitaire n’a-t-il pas été finalement reconnu par les islamistes eux-mêmes ?

Oui, et la qualification de « martyr » (chahid) est dorénavant d’usage pour tous les morts musulmans - pas les autres - du coronavirus. Cet usage résulte de la lecture d’un hadith attribué à un compagnon de Mohammed, Abou Horeira, qui distingue cinq cas attributifs de cette qualité : mourir par la peste, d’une maladie du ventre, par noyade, sous les décombres ou au combat. On peut voir dans cet usage une preuve supplémentaire de l’influence du salafisme sur les autres expressions de l’islam."

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