Revue de presse

"Tout comprendre aux racines et à l’ampleur du mouvement "woke"" (E. Bastié, Le Figaro, 16 sept. 21)

23 septembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Helen Pluckrose, James Lindsay, Le triomphe des impostures intellectuelles, éd H&O, 2021, 380 p., 23 €.

"Un best-seller américain enfin traduit en français nous raconte les origines et les principes des théories de l’identité du genre et de la race qui gangrènent l’université."

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"[...] Au départ il y a la théorie : le postmodernisme. Pluckrose et Lindsay remontent aux origines de ce mouvement intellectuel né en France dans les années 1960 (et baptisé « French Theory » aux États-Unis) dont les Pères fondateurs furent Michel Foucault, Jacques Derrida et Jean-François Lyotard. Un credo : la déconstruction. Et deux grands principes : le principe postmoderne de connaissance, un scepticisme radical sur la possibilité même d’une connaissance objective (tout est construction sociale, y compris le savoir), et le principe politique postmoderne selon lequel la société est structurée par des systèmes de pouvoir (le patriarcat, le privilège blanc, etc.). Pouvoir partout, vérité nulle part. Ce « complot sans comploteurs », pour reprendre la formule de Boudon parlant de Bourdieu, se mue en délire paranoïaque : nos démocraties, loin d’être des sociétés égalitaires où s’est déployé un progrès unique au monde pour les femmes et les minorités seraient le théâtre d’une oppression aussi puissante que sournoise.

Pluckrose et Lindsay dégagent quatre grandes thématiques postmodernes : le brouillage des frontières, le pouvoir du langage, le relativisme culturel, la fin de l’individu et de l’universel. À l’université, la théorie, au service de la cause de la justice sociale se déploie dans divers départements : postcolonialisme, théorie de la race, théorie queer, études de genre, « fat studies » (« études de corpulence » sic). Le point commun entre ces domaines de recherche ? Indexer la science sur le militantisme, et fonder la recherche sur le nouveau « cogito victimaire » : « Je subis l’oppression, donc je suis… comme sont aussi la domination et l’oppression ».

Le tout enrobé d’un langage délibérément abscons puisqu’il s’agit d’œuvrer dans l’indéfinissable. « Si pendant un certain temps, la ruse du désir est calculable pour les usages de la discipline, bientôt la répétition de la culpabilité (…) des autorités fallacieuses et des classifications peut être considérée comme l’effort désespéré de normaliser formellement la perturbation d’un discours de clivage qui viole les prétentions rationnelles et éclairées de la modalité énonciative » écrit ainsi Judith Butler, la papesse du Queer. Vous n’avez rien compris ? C’est normal : chez les théoriciens de la justice sociale, le manichéisme simplificateur va de pair avec la sophistication intimidante.

Contrairement à la psychanalyste Élisabeth Roudinesco, qui dans son livre Soi-même comme un roi, tentait de disculper la French Theory des dérives identitaires de ses héritiers, Lindsay et Pluckrose démontrent la continuité entre les grands discours déconstructeurs des années 1960 et les fruits vénéneux du wokisme. Ils comparent les trois phases du postmodernisme à un arbre : le tronc, c’est la théorie, élaborée dans les années 1960-1970, les branches, c’est le postmodernisme appliqué (postcolonialisme, études queer, théorie critique de la race, études de genre, fat studies), et les feuilles de l’arbre c’est l’activisme proprement dit de justice sociale et ses méthodes de cancel culture. « Le monde académique, ce n’est pas comme Las Vegas - ce qui se passe à l’université ne reste pas cantonné à l’université » remarquent nos auteurs, qui soulignent que l’université, gagnée par la théorie devient « outil d’endoctrinement culturel nuisible à nul autre pareil ».

Nos auteurs ne manquent pas de relever les incohérences de la théorie. Ainsi elle professe un scepticisme absolu sauf en matière d’oppression conçue comme une réalité objective et irréfutable (Robin di Angelo, la papesse de la race, écrit ainsi : « la question n’est pas : ‘‘Y-a-t-il eu du racisme ?’’ mais plutôt ‘‘Comment le racisme s’est manifesté dans cette situation ?’’ »). Elle brouille les frontières en permanence sauf quand il s’agit de la race. Elle prétend déconstruire tout essentialisme et multiplie les catégories (LGBTIQ). Surtout, point essentiel, on comprend à les lire le paradoxe d’un postmodernisme qui, parti du relativisme le plus radical, arrive au dogmatisme le plus extrême. Parce que justement, s’il n’y a de vérités que subjectives, c’est la dictature des ressentis qui s’installe.

« Le nihilisme s’est fait moralisme » remarquait déjà Allan Bloom dans son chef-d’œuvre L’Âme désarmée, où il analysait dès 1987 les dérives à l’œuvre dans les universités américaines. Lindsay et Pluckrose dédouanent eux complètement le libéralisme progressiste des dérives du postmodernisme, et en font même l’antidote. De l’arbre du postmodernisme surgi brutalement dans les années 1960, ils oublient les racines. Pour le conservateur Allan Bloom il y a au contraire une continuité entre le principe d’ouverture radicale prônée par les démocraties libérales, l’idée progressiste de table rase et le terreau sur lequel s’épanouissent les rêves rageurs de déconstruction. Si l’éthique minimale promue par le libéralisme se veut une promesse de paix, elle échoue dans les faits à maintenir une société ensemble. Il n’y a pas de civilisation composée uniquement d’individus. Une société dont les rapports sont organisés uniquement par le marché et le droit, sans traditions ni transmission est vouée à l’implosion. Le délire woke n’est qu’une hérésie de la religion du progrès."

Lire "Eugénie Bastié : « Le wokisme, produit de l’âme désarmée »".

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