Revue de presse

"Russie : les Pussy Riot, libérées, dénoncent une « opération de communication »" (Le Monde, 25-26 déc. 13)

25 décembre 2013

"Moue rebelle et verbe combatif, « Nadia » est sortie de prison, lundi 23 décembre, comme elle y était entrée. Mutine et arrogante. Près de vingt-deux mois de détention ont semblé renforcer la détermination de Nadejda Tolokonnikova, l’une des meneuses des Pussy Riot, ce groupe de « punkettes » dont les cagoules colorées sont devenues le symbole de l’opposition la plus radicale à Vladimir Poutine.

« La Russie est construite sur le modèle d’une colonie pénitentiaire. C’est la raison pour laquelle il est si important de changer les colonies pour changer la Russie », a lancé Nadejda Tolokonnikova, 24 ans, confiant avoir « grandi » durant sa détention, « parce que j’ai vu cette petite machine totalitaire de l’intérieur ».

A la sortie de l’hôpital pénitentiaire de Krasnoïarsk, grande ville de Sibérie, où elle était soignée après les grèves de la faim qu’elle avait menées pour dénoncer les conditions de détention, la jeune femme a brandi le « V » de la victoire et crié « Russie sans Poutine », l’un des slogans phares des manifestations anti-Kremlin.

Quoique prévisible, ce scénario n’est sans doute pas celui qu’espérait l’administration présidentielle en concevant une amnistie taillée sur mesure pour les Pussy Riot. Adoptée dans le cadre de la célébration des vingt ans de la Constitution post-soviétique, cette mesure devrait au total bénéficier à environ 25 000 personnes sur les quelque 700 000 détenus des prisons russes.

« Ce n’est pas un acte humanitaire, mais une opération de communication », a assuré l’autre Pussy Riot également libérée lundi, Maria Alekhina, 25 ans. Comme Nadia, elle a dénoncé une manœuvre politique qui, après la récente libération de l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski, viserait à améliorer l’image de Moscou avant les Jeux olympiques d’hiver dans la ville russe de Sotchi, en février 2014, et le G8 de juin, qui se tiendra aussi dans la cité balnéaire de la mer Noire.

Toutes deux mères d’un enfant en bas âge, les jeunes femmes avaient déclaré vouloir purger l’intégralité de leur peine plutôt que de bénéficier d’une clémence poutinienne. Mais la loi russe interdit au détenu de refuser d’être libéré.

Du coup, les deux « punkettes », le ton plus frondeur que jamais, s’en sont immédiatement prises au chef du Kremlin. Promettant de défendre les autres prisonniers d’opinion. Mais, surtout, s’engageant à monter des actions chocs contre le président. « Je n’ai plus peur de rien, croyez-moi ! », a prévenu Maria Alekhina. « Attachez vos ceintures, a lancé Nadejda Tolokonnikova. Nous nous efforcerons de chanter jusqu’au bout notre chanson… »

Allusion au provocateur concert du 21 février 2012, organisé quelques jours avant la présidentielle gagnée d’avance par Vladimir Poutine. Ce jour-là, encagoulées et guitares en bandoulière, les chanteuses ont poussé leur refrain – « Sainte Vierge, chasse Poutine ! » – dans la cathédrale orthodoxe du Christ-Sauveur, à Moscou. Le concert en lui-même a duré seulement vingt-cinq secondes mais, vite montées en clip, les images se sont retrouvées sur le Web six heures après. Le coup médiatique était d’autant mieux assuré qu’avaient été conviés une trentaine de journalistes.

Maria Alekhina et Nadejda Tolokonnikova ont été arrêtées peu après les faits. Condamnées pour « hooliganisme et incitation à la haine religieuse », elles risquaient jusqu’à sept ans de prison pour ces chefs d’accusation. Le juge les a finalement condamnées à deux ans – elles devaient finir leur peine en mars.

Madonna en tête, de nombreuses vedettes internationales se sont indignées. En Russie, même si 70 % des habitants se déclarent orthodoxes (mais moins de 7 % de pratiquants réguliers) et si la majorité a condamné l’action des Pussy Riot, ces lourdes peines ont choqué. Aux yeux de l’Eglise, les jeunes femmes sont devenues les visages du « blasphème ». Une accusation lancée par le patriarche Kirill lui-même. L’Eglise, dont la hiérarchie soutient Vladimir Poutine, a été soupçonnée d’avoir fait pression pour obtenir une punition exemplaire.

« L’objectif du concert n’était pas antireligieux. On voulait protester contre le soutien de l’Eglise à Poutine », a confié anonymement un autre membre des Pussy Riot. « Nous voulons changer quelque chose, avoir en Russie un progressisme avec un grand P. Ici, il n’y a que Poutine et Poutine. Ce n’est pas le progrès. C’est régression et corruption », proteste la jeune femme, assurant que le groupe est tout à la fois un mouvement artistique, féministe et politique. [...]

Les Pussy Riot qui, lors des manifestations anti-Kremlin, défilent sous leur propre banderole colorée, sont cependant loin de faire l’unanimité au sein de l’opposition. Beaucoup ont dénoncé la sévérité de leur condamnation.

Mais, à l’instar d’Alexeï Navalny, l’un des chefs de file de l’opposition, la majorité a aussi condamné le concert des Pussy Riot dans la cathédrale. Si « Nadia » et ses amies reprennent la voie de la provocation, elles risquent de se trouver isolées. A la plus grande satisfaction du Kremlin, qui cherche à marginaliser ces chanteuses devenues bien encombrantes."

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