Avenir de la langue française

"Retrouvons-nous une politique nationale de la langue française et de la francophonie ?" (A. Salon, ALF, 27 mars 18)

Albert Salon, président d’Avenir de la langue française. 17 mai 2018

"Nos associations ne sont pas seules à se poser la question. Car, depuis 1974, les présidents de la République successifs et leurs gouvernements, à la timide exception de François Mitterrand, se sont contentés de gestes, de rituels. Ils n’ont pas eu de politique cohérente en ces domaines. Ils ont, en fait, l’hégémonie anglo-états-unienne et la mode européiste aidant puissamment, laissé polluer et défigurer la langue française en France, s’éroder notre présence linguistique à Bruxelles et l’ensemble de notre action culturelle à l’étranger, et s’étioler l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dont la succession du très respecté président Abdou Diouf, son secrétaire général jusqu’au Sommet francophone de 2014, fut alors confiée à la Canadienne Michaëlle Jean, grâce à l’aide déterminante de François Hollande.

Avouons qu’Emmanuel Macron candidat n’avait pas soulevé l’enthousiasme des Français attachés à la culture et à la langue françaises et à leur rayonnement à l’extérieur, ni nourri leur espoir de voir un redressement après 43 ans d’aboulie ou sabotage. Ses anglicismes : "helpers", "task force" et d’autres, pis : son discours de janvier 2017 en anglais à Berlin (Université Humboldt), n’avaient rien arrangé… Élu, le Président a persisté et signé jusqu’au "One planet Summit" organisé fin 2017 à Paris. Alors : poursuite, organisation de la chute ?

"En même temps", il avait, le 29 août 2017 dans son premier exposé de politique étrangère, donné une place inusitée à nos sujets, annoncé un appel mondial : "Mon idée pour le français" puis une réunion de diverses hautes personnalités de France et d’ailleurs, pour présenter en 2018 un "Plan pour le français". Ces promesses-là ont été tenues. Le 20 mars, à l’Académie française, il a, dans un beau français, lyrique, déroulé des dizaines de mesures constituant le plan annoncé.

Reconnaissons-le : nous n’avons jamais eu de discours de politique du français aussi cohérent et contenant de telles annonces présidentielles. De défensive, la Francophonie devient conquérante, non pour dominer quiconque, mais pour donner du monde une lecture plurielle, opposée à la globalisation anglo-saxonne. On y trouve beaucoup d’éléments très intéressants (voir ci-dessous), mais aussi les lacunes et zones d’ombre suivantes.

. Justifier en fait l’indulgence active à l’égard de l’ouverture (nécessaire !) chez nous, aux langues étrangères mais en fait surtout de l’invasion de la France par l’anglais, au nom d’un plurilinguisme revendiqué aussi au bénéfice du français en Europe et dans le reste du monde, constitue une sorte de pirouette d’application du fameux "en même temps".

. Par deux fois, nous avons, certes, entendu une prudente allusion au caractère hégémonique non de tel pays anglo-saxon, mais de la langue anglaise. Ce point aurait mérité une critique plus incisive. L’Académicien Jean-Marie Rouart ne relevait-il pas que la France (pas seule !) "devient une colonie culturelle américaine" ? Sont d’ailleurs absents de ce plan les remèdes aux très graves dérives anglo-américanisantes de certaines de nos institutions : des publicitaires, de l’audio-visuel à usage interne (l’extérieur étant traité), et surtout des milieux scientifiques, de la recherche, des universités et des grandes écoles, ces dernières ayant allègrement et impunément piétiné l’article 2 de la Constitution dont le Président est garant, et les lois Toubon et Fioraso, avec la complicité de plusieurs tribunaux de notre juridiction administrative qui se sont livrés à de honteuses contorsions juridiques pour rejeter les recours introduits par nos associations contre des formations offertes en anglais exclusivement. Des mesures s’imposent.

. Dans les zones ombreuses, il faut aussi noter que le Président ne traite pas sérieusement de la conquête très avancée par l’anglais des institutions européennes, puissant levier supplémentaire d’anglo-américanisation des pays membres. Il s’est contenté de s’étonner d’un ton badin, allant moins loin que M. Juncker, que l’anglais n’ait "jamais été aussi présent à Bruxelles au moment où nous parlons de Brexit". Espérons qu’il demandera, en Conseil européen, un changement majeur dans le statut actuel des langues officielles. En exigeant donc (avec l’Allemagne et l’Italie ?) sinon que l’anglais ne soit plus langue officielle, pure logique du Brexit, du moins que les autres officielles et a fortiori de travail retrouvent la plénitude de leurs prérogatives. Que les administrations des pays membres ne subissent plus cette humiliation de devoir travailler en anglais sur des textes non traduits, et y répondre uniquement dans cette langue.

. En cohérence avec la priorité africaine affirmée par le président, il nous paraît urgent de revenir au Sommet francophone de 2018 à la saine tradition rompue à celui de 2014 : qu’un chef d’État africain soit élu secrétaire général de cette OIF au potentiel si important pour le monde.

Parmi les orientations très souhaitables contenues dans la liste jointe, nous pouvons applaudir tout spécialement celles qui rejoignent nos propositions déjà anciennes : au rôle enfin reconnu à l’Outre-mer et à l’Afrique, notamment francophone ; et, sur le plan sectoriel, à l’enseignement maternel, primaire et secondaire, notamment du français, à son extension et à sa qualité, à la formation des maîtres, particulièrement des professeurs de français. Cela tant en France même, notamment pour les immigrés, qu’à l’étranger dans notre action culturelle, dans l’aide bilatérale française (APD) et multilatérale (ONU, FED, OIF) au développement économique, social, culturel, et à la création artistique en Afrique.

L’annonce importante la plus concrète parce que déjà marquée par des mesures préparatoires engagées, et assortie d’un agenda de réalisation, concerne le "laboratoire de la Francophonie" au château de Villers-Cotterêts (à lire dans le nouvelles). Emmanuel Macron reprend là les objectifs (documentation sur la diversité et le dialogue des cultures de la Francophonie, études, recherches, formations, débats et rencontres, bourses, stages, résidences) contenus dans notre projet d’Institut porté depuis son lancement en 2001, du balcon du château, par ALF et ses partenaires. Nous remercions le Président et Madame son épouse. Il y a là une belle création de nature à unir le couple dans les mémoires "l’Institut-Emmanuel-et-Brigitte-Macron", à l’instar de "l’Institut-Pierre-et-Marie-Curie", et du "théâtre Madeleine-Renaud-Jean-Louis Barrault"…

Le financement (200 millions ?) reste un problème à résoudre. Lors de l’entrée en 2012 du Qatar – alors très en cour - dans l’OIF, cet émirat avait été sollicité par nos associations. Or, aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont déjà et membres de l’OIF, et en coopération récemment renforcée avec notre pays, mieux en cour et plus fréquentables. Ne pourraient-ils être abordés par l’État ?

Nous restons bien conscients de ce que nous sommes encore dans le registre non des actes accomplis, mais des annonces et des promesses cumulées. Nous avons tous sur les lèvres l’expression populaire "Tout ça, c’est bien beau, mais on attend les actes !" Mais, "en même temps", le fond de crédulité et d’irrépressible optimisme français nous susurre que notre Président a une fibre, n’est pas seul, et est allé trop avant dans la précision des solennelles annonces pour les oublier ou trahir. "Noblesse (et force du discours) oblige !"

À Monsieur le Président de la République, à Madame Brigitte Macron - nous nous adressons au couple présidentiel pour des raisons aussi rafraîchissantes qu’évidentes – nous disons de notre long espoir ensommeillé qui maintenant rouvre un œil : "Merci ! et… Chiche ! !".

Albert Salon"

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