Emmanuelle Hénin (Sorbonne Université) et Pierre-Henri Tavoillot (Sorbonne Université, Président du Collège de philosophie). 4 janvier 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"LE FIGARO.- Vous organisez un colloque qui se tient à la Sorbonne le 7 et 8 janvier intitulé : « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Quel en est l’objectif ?
Emmanuelle HÉNIN. - Il y a trois objectifs. Il s’agit d’abord de réunir des universitaires de plusieurs disciplines et de plusieurs pays qui s’accordent à penser que la « déconstruction », dont le wokisme n’est qu’un des aspects, est devenue une impasse intellectuelle. En effet, ce courant en vient, de plus en plus, à confondre la recherche et le militantisme, la vérité et la morale, la science et l’idéologie. Avec des conséquences graves sur l’enseignement et la recherche : si nous ne faisons rien, nous nous exposons à voir des textes expurgés ou censurés et, à moyen terme, des champs disciplinaires entiers remplacés par les « études culturelles » transversales qui ne reposent pas sur un savoir validé mais sur des préjugés militants. [...]
Pierre-Henri TAVOILLOT. - [...] Le « déconstructionnisme » ne voit le réel que comme lieu de domination et d’oppression : des femmes par les hommes, du Sud par le Nord occidental, des « racisés » par les Blancs, de la nature par la technique, etc. On comprend pourquoi, à partir de cette grille de lecture, il est urgent de se « réveiller » (woke) et d’annuler (cancel culture), même si, pour cela on doit prendre quelques libertés avec la liberté - y compris académique - de ceux qui sont encore « endormis » ! [...]
Ne surestime-t-on pas la puissance de ce mouvement woke ? L’université française ne résiste-t-elle pas mieux que l’université américaine à ces dérives ?
EH. - À la différence des États-Unis et du Canada, la France a une tradition universaliste. C’est pourquoi elle n’est pas contaminée par ce mouvement au même titre que ces pays : nous n’avons pas encore de « safe spaces » ni de « sensitivity readers », même si certains en réclament. Cependant, depuis deux ans, il ne se passe pas une journée sans qu’on reçoive des annonces de conférences, de colloques ou de postes à pourvoir rédigées dans les termes de cette idéologie. Il y a quelques semaines, un enseignant de Sciences Po Grenoble, déjà cloué au pilori pour avoir émis des doutes quant à la pertinence du concept d’islamophobie, a été suspendu quatre mois pour avoir critiqué le climat d’intimidation qui règne dans cet IEP.
En outre, la préparation épique de ce colloque confirme nos craintes quant aux menaces pesant sur la liberté académique : plusieurs collègues ont renoncé à regret à participer de crainte de voir leur carrière ou celle de leur conjoint brisée ; d’autres se sont désistés pour ménager leur réputation ; certains nous ont accusés de fomenter un complot (pour des motifs tous plus farfelus les uns que les autres) ; d’autres ont tenté de nous disqualifier sur les réseaux sociaux ou dans Libération en brandissant l’éternel épouvantail de l’extrême droite, nous accusant d’être « la honte de l’université » -injure gratuite aux cinquante chercheurs de haut niveau et de tous horizons que nous avons réunis, parmi lesquels Pierre Manent, Jacques Julliard, Nathalie Heinich, Pierre Vermeren et bien d’autres. [...]"
Lire « Pourquoi la “déconstruction” est devenue une impasse intellectuelle ».
Voir aussi 7-8 jan. 22 Colloque « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture » (Collège de philosophie, CLR, Paris, 7-8 jan. 22) et l’édito 2022 : Ne pas abandonner le terrain aux faussaires de la laïcité et aux promoteurs des solutions simplistes (G. Abergel, 30 déc. 21) (note du CLR).
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