« L’après-janvier » (14 mars 15)

Patrick Kessel : "La laïcité combat le Front national, le communautarisme fait son lit" (Colloque du CLR, 14 mars 15)

Président du Comité Laïcité République. 17 mars 2015

Au lendemain des attentats barbares qui, en janvier dernier, ont frappé la République au cœur, l’immense sursaut populaire avait donné à penser que chacun avait pris la mesure de la gravité de la situation. La République aux principes universalistes, l’égalité, la laïcité étaient de retour.

Le Président de la République, le Premier Ministre dans un discours historique à l’Assemblée Nationale, les députés entonnant la Marseillaise debout et à l’unisson, et ce pour la première fois depuis la fin de la Première guerre mondiale, ont fait vibrer cet appel au ressourcement de la République. Le pays retrouvait des valeurs et une identité commune, nourrie de fraternité. Les premières mesures concrètes étaient annoncées en matière de sécurité, de renseignement, de formation des maîtres. Le CLR a souligné combien elles allaient dans le bon sens et devaient être suivies d’actes concrets. « Je suis Charlie », mot d’espoir, se répandait bien au-delà de l’hexagone, bien au-delà de ceux qui jusque-là appréciaient ou non la culture satirique des caricaturistes de l’hebdomadaire. Parce qu’on avait compris que les victimes avaient été massacrées non pas par hasard, mais en tant que policiers, en tant que juifs, en tant que défenseurs de la liberté absolue de conscience. Ce n’était pas un crime de guerre mais un acte de barbarie contre les Lumières.

Cela, une partie de nos concitoyens, contrairement à ce que nous avions trop vite espéré, ne l’ont pas nécessairement compris, ne l’ont pas partagé et parfois pour certains, l’ont combattu. Dans un second temps, la déchirure culturelle du pays, que certains veulent masquer sous la crise sociale, s’est révélée telle qu’elle, profonde et inquiétante. Une partie de la France avait boudé les grands défilés de soutien à Charlie. Dans plus d’écoles qu’on ne l’a dit, des élèves avaient refusé la minute de silence à la mémoire des victimes. Dans certains cas, des enseignants ont eux-mêmes rejeté le principe de ce recueillement. Dans certains quartiers, on a évoqué des manifestations d’allégresse. Comment en est-on arrivé à ce stade où des adolescents des banlieues se définissent comme blacks, blancs, beurs, feujs, homos... avant de se sentir citoyens français ? Se revendiquent d’identités communautaires de substitution, qui leur font croire qu’ici ils ne seraient pas français, avant qu’ils découvrent que, sur l’autre rive de la Méditerranée, ils ne se sentent pas davantage Algériens, Marocains, Tunisiens... Alors peut-être certains imaginent-ils qu’en s’engageant avec les islamo-fascistes, ils donneront sens à leur vie ? Les politiques communautaristes et le recul des principes laïques sont passés par là !

Bien vite est apparu un discours culpabilisateur « anti-Charlie expliquant « que c’était un peu de leur faute, qu’ils l’avaient un peu cherché » ces caricaturistes, comme si l’on disait à la jeune femme qui vient de se faire violer qu’elle n’est pas innocente, elle qui portait une jupe un peu courte ! On a lu sur les réseaux sociaux se développer un discours complotiste, sous-entendant, comme ce fut le cas pour l’attentat contre les tours de Manhattan, que tout cela n’était pas clair, qu’il y avait des éléments troubles dans la sécurité et qu’on voyait bien à qui cela servait ! Sous-entendu, une opération des services israéliens...Les juifs encore !!

Et puis, a ressurgi la vague communautariste, dénonçant derrière chaque laïque un militant raciste, islamophobe ! L’intégriste, c’est l’autre ! Les socialistes de la SFIO, à l’époque ardents défenseurs de la laïcité, n’avaient-ils pas été colonialistes en Algérie ? Ainsi, pour le journaliste Edwy Plenel, la démonstration est faite que les laïques sont naturellement les continuateurs islamophobes des colons tandis que les musulmans de France seraient les héritiers des colonisés et de la classe ouvrière perdue ! On croyait le procédé stalinoïde oublié. Il revient à la mode et les spécialistes de la contorsion idéologique parviennent toujours à faire entrer l’histoire dans la théorie ! En revanche, pas un mot sur la réalité du « nouvel antisémitisme » ou le fait que les musulmans, les femmes en particulier, sont les premières victimes de l’islamo-fascisme conquérant. Des discours dogmatiques qui ne sont pas sans rappeler les haines d’avant-guerre quand d’aucuns plaidaient « plutôt Hitler que Blum ». Car à stigmatiser le sursaut laïque de Manuel Valls, les communautaristes font le lit de Le Pen.

Ainsi, subtilement, on est passé de la défense de la laïcité à la dénonciation de l’islamophobie ! Un meeting contre l’islamophobie a fait salle comble à Saint-Denis, à l’appel d’une soixantaine d’associations dont le PCF, le NPA et d’organisations comme l’UOIF –Union des associations islamiques de France- ou les « Indigènes de la République ». Au dernier moment, Europe-Ecologie-Les Verts, signataires de l’appel, s’est retirée en raison de la présence d’organisations jugées « polémiques et hostiles à la laïcité ». Il s’en est fallu de peu !

Contenu pendant des années sous la chape de plomb de la bien-pensance, le débat fait désormais rage à gauche. Les différencialistes, pour les plus anciens, aveugles, sourds, muets face aux crimes staliniens dénoncent les héritiers de Jaurès et Clémenceau comme « racistes » et sont en train « de saper des décennies d’avancées, de progrès et d’émancipation » selon Caroline Fourest, une de leurs têtes de Turc !

Et voilà comment, en quelques jours, la laïcité qui avait rassemblé un peuple blessé se retrouve attaquée alors qu’il conviendrait de la soutenir partout, sur tous les territoires de la République.

La Droite s’en mêle. Nicolas Sarkozy, l’homme du discours de Latran, proclamant la supériorité du prêtre sur l’instituteur en matière d’enseignement de la morale, avait entrepris de « toiletter » la loi de 1905 et fait voter la loi Carle permettant d’élargir les financements publics aux écoles privées. Depuis les attentats de janvier, voilà que des voix autorisées, et non des moindres, s’élèvent pour relancer le projet de révision de la loi de séparation. Les mêmes qui par ailleurs courent après les thèses du Front National ! Au point que le Président du Conseil Constitutionnel, Jean-Louis Debré, a senti la nécessité de prendre fermement et clairement position contre toute tentative de modification de la loi de séparation, ciment de la paix sociale !

A Gauche, malheureusement, les déclarations contradictoires n’ont pas levé la confusion inquiétante qui a fait suite à certains atermoiements coupables des dernières années. Pour ne citer que lui, l’ancien ministre de l’Education Nationale, Jack Lang, déjà responsable du détournement de la loi de 1905 qui avait permis en son temps de financer la construction de la cathédrale d’Evry, s’est à nouveau déclaré en faveur d’une révision de la loi afin de pouvoir financer l’islam en France ! La pression était assez forte pour que François Hollande tranche qu’on ne toucherait pas à la loi. Il n’aurait plus manqué que cela, alors que le programme du candidat Hollande prévoyait de renforcer la laïcité en inscrivant dans la Constitution les deux premiers articles de la loi de 1905.

Et comme une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule, voilà que le PS, dans un communiqué de son délégué à la laïcité, se prononce en faveur du développement des établissements scolaires musulmans sous contrat ! La Gauche qui après avoir avalé le boa de la loi Debré en 1958 et apparemment renoncé à abroger les dispositions de la loi Carle qui aggravent le problème, se prononcerait désormais en faveur de l’enseignement privé ! On voudrait rêver, mais c’est un cauchemar. L’école publique, laïque, obligatoire, créature de la gauche depuis toujours, créée pour faire en sorte que tous les enfants quels que soient leur couleur, leurs origines, la confession de leurs parents, leur sexe, soient instruits pour devenir des citoyens libres et égaux en droits, des hommes et des femmes libres et responsables, se retrouverait en « concurrence » avec des établissements chargés de faire ici de futurs musulmans, là de futurs catholiques, protestants, juifs... ! C’est Jaurès qu’on aime tant citer à l’occasion des commémorations, qui doit se retourner dans sa tombe, lui qui déclarait que lorsqu’il « s’agit de l’œuvre d’éducation où la conscience s’éveille, où la raison incertaine se dégage, seuls les représentants de la laïcité doivent être autorisés pour propager, non pas un dogme nouveau, non pas une doctrine immobile mais l’habitude même de la raison et de la vérité »( Cité par Jacques Julliard – Les Gauches françaises- p 443 – Flammarion sept 2012).

Ces propositions sur les écoles privées sous contrat et l’incitation à l’édification de nouveaux lieux de culte, que nombre d’élus disent découvrir, figuraient pourtant déjà dans un document préparatoire au Congrès du PS, intitulé « Faire vivre la République » (Rapport d’étapes – 30 janvier 2015). Il était signé d’une vingtaine de responsables socialistes dont le Président de l’Observatoire de la laïcité, alors que selon l’observatoire chrétien de la laïcité, il s’agit « d’un dévoiement de la laïcité », un « encouragement à l’idée d’une société et d’un Etat orientés dans le sens du communautarisme identitaire ». La fondation Terra Nova, influente dans les allées du pouvoir, on s’en souvient, avait déjà proposé une citoyenneté à géométrie variable selon les origines communautaires ! Savent-ils que ce fameux droit à la différence transformé en différence des droits, a été conçu dans les officines de l’extrême-droite pour légitimer le système d’apartheid alors de règle en Afrique du Sud ?

Une telle régression historique, à défaut de démenti clair, constituerait une sorte de Bad Godesberg honteux sur la laïcité marquant une véritable rupture aux conséquences imprévisibles. Le parti radical de gauche l’a compris qui a aussitôt dénoncé les« propositions inacceptables » et « indignes » du parti socialiste, qu’il accuse de « trahir la République » en allant contre le principe de séparation.

A court terme, c’est pour le moins une grave erreur que de laisser le champ libre au Front National qui réalise un hold-up en se posant en défenseur de la laïcité alors que l’histoire de l’extrême-droite nous rappelle que celle-ci a toujours plaidé pour une France blanche, catholique, apostolique et romaine ! Il faut être à court d’arguments honnêtes pour accuser les défenseurs de la laïcité d’avoir les mêmes propositions que le Front National alors que la laïcité constitue le seul rempart contre toutes les formes de racisme qu’en revanche nourrissent les communautarismes. A quelques encablures des élections départementales, on s’interroge en revanche sur les motivations politiques alors que le Premier Ministre se mobilise pour sensibiliser au danger que représente l’extrême-droite.

Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que la proposition de loi de la sénatrice Françoise Laborde, visant à permettre la création de crèches laïques, suite à la longue et difficile affaire Baby-Loup, suscite de nouveaux remous à gauche ! Le Président de l’Observatoire de la laïcité monte en ligne contre ce projet qu’il qualifie de « dangereux » alors que le Pt de la République l’avait envisagé, et dénonce « un a priori antimusulman qui existe y compris à gauche » ! Au contraire, avec lucidité, Jean Glavany, ancien ministre, député, membre de l’Observatoire, estime « si toutes les religions ont généré dans l’histoire et génèrent toujours leurs propres intégrismes, un intégrisme radical menace plus la République que les autres. C’est l’intégrisme islamiste. Si nous ne le reconnaissons pas, par peur de paraître islamophobe, alors on nie les problèmes et on fait le lit du Front National qui, lui, ne nie pas les problèmes : il les exploite pour entretenir les peurs ».

En quelques petites semaines, le grand souffle républicain semble retombé tel un soufflet et nos inquiétudes sont de plus en plus vives face à la montée des communautarismes et des discours qui n’évoquent la laïcité que pour mieux la vider de son contenu. Maladresses ? Tentatives pour tester la résistance des laïques comme certains s’y emploient à l’intérieur même du PS ? Course électorale après un illusoire vote communautaire musulman ?

La laïcité, trois mois après l’explosion de violence barbare, semble sur le reculoir. Alors que selon les sondages, 80% des Français interrogés sont favorables au droit à mourir dans la dignité, l’adoption d’un texte qui constitue une petite avancée mais est très en recul par rapport aux engagements, témoigne de l’énorme pression qu’exercent les communautés religieuses sur l’Etat et la représentation nationale. Et qu’il existe réellement des problèmes de laïcité dans la France d’aujourd’hui.

A ne pas en prendre l’exacte mesure, les responsables politiques prendraient l’immense responsabilité de jouer avec le feu en favorisant la montée d’une extrême-droite qui attend son heure. La laïcité n’est plus seulement un sujet philosophique ou éthique, celui de l’universalisme des principes contre un modèle multiculturaliste qui prend l’eau de toutes parts et menace la République et la démocratie. Il est politique, immédiatement politique. Et appelle un sursaut républicain à la hauteur du sursaut populaire du 11 janvier qui a peut-être constitué la plus grande mobilisation populaire en France de tous les temps. Ce colloque du Comité Laïcité République a pour objectif d’y apporter notre contribution.



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