Revue de presse

P. Ory : La censure n’est pas morte (Le Point, 26 jan. 23)

Pascal Ory, historien, membre de l’Académie française. 30 janvier 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Pascal Ory : l’ère de la sidération".

"[...] J’ignore si l’individu Bastien Vivès tombe sous le coup de la loi ; d’après ce que je comprends : non. Mais la question n’est pas là : si oui, que les plaintes soient déposées, et que la justice s’exerce. Ce que ce soixante-huitard attardé découvre ici à ses dépens, c’est que 68 est bien mort et enterré. Paroles provocantes, fantasmes d’un adolescent de 38 ans : il n’aura pas compris que la « libération du désir » pouvait recouvrir (voire camoufler) des abus de position dominante, des situations de violence – disons le mot : de viol, pur et simple.

Mais l’affaire Vivès (l’affaire Balthus, l’affaire Gide, l’affaire Gauguin et bien d’autres à venir) pose une autre question. Celle-ci s’adresse au « monde de l’art », donc à celui des artistes. Personne ne semble conscient – inconscience révélatrice – de ce qu’elle reproduit deux des fondamentaux de la démarche du censeur moderne : l’assimilation entre « la vie » et « l’œuvre » et l’assimilation entre l’acte et sa représentation.

Une thèse soutient que le Bien, le Beau et le Vrai sont fondamentalement et indiscutablement associés. Les historiens dignes de ce nom, pas aveuglés par leurs préjugés, n’ont jamais confirmé cet appariement, destiné à réconforter tous ceux qui ont bien du mal à imaginer que l’histoire soit tragique. Dans une histoire vertueuse, un Richard Wagner ne doit pas être traité en grand compositeur, puisqu’il est antisémite ; dans une histoire vertueuse, les romans de Sade doivent être interdits puisque les constructions imaginaires de leur auteur font de leurs éditeurs et de leurs lecteurs autant de criminels en puissance.

On aura déjà compris que derrière ces deux assimilations gît un mode de raisonnement absolutiste et animiste – qui a dominé l’histoire prémoderne de l’humanité. Mais on aura aussi observé qu’il continue de régner sur de larges secteurs de l’univers politique et religieux d’aujourd’hui. La tragédie de Charlie Hebdo dit tout. Le périodique fut d’abord l’objet d’attaques venant de l’État : c’était dans l’ordre de la religion culturelle moderne, à son apogée dans le monde occidental à la fin du XXe siècle, qui faisait de l’artiste ou de l’intellectuel un prophète et, au besoin, un martyr de la liberté. Mais, le temps passant, ses seuls adversaires – et, pour finir, ses assassins – sont venus de la « société civile ». [...]"



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