Nouveaux Droits de l’homme

P. Kessel : "L’extrême droite a tenté un véritable hold-up sur la laïcité" (Arc en ciel, 4e trim. 14)

Patrick Kessel est le Président du Comité Laïcité République. 22 décembre 2014

"Patrick Kessel est le Président-fondateur de Comité Laïcité République. Ancien Grand Maître du Grand Orient de France, il replace la laïcité moderne dans son cadre historique vieux de deux siècles.

Arc en Ciel : La laïcité est une vieille revendication qui remonte surtout à la IIIème République. Elle était à la fois très française et très anti-catholique. Est-ce toujours le cas ?

Patrick Kessel : La laïcité n’est pas anti religieuse. Elle est la liberté des libertés, l’outil qui permet la liberté absolue de conscience et l’égalité des droits entre tous les citoyens quels que soient leurs origines, la couleur de leur peau, leurs convictions philosophiques ou religieuses, leurs appartenances politiques, syndicales, culturelles, leur sexe. Elle ne fait pas de différence entre celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas. Elle est la clé de voûte, la pierre qui tient l’édifice d’une République de citoyens différents mais libres et égaux. C’est pourquoi elle stipule une stricte séparation entre l’Etat et les églises.

AEC : N’y a-t-il pas eu, un temps, chez certains, un dérapage antireligieux qui a
nui à la cause laïque ?

PK : L’Eglise s’est longtemps opposée au progrès des connaissances, à la République, aux Droits de l’homme et du citoyen, à l’émancipation des femmes, à l’esprit scientifique, à l’école laïque, à l’autonomie de l’individu. Son histoire, en France notamment, atteste qu’elle a été plus solidaire de l’Ancien régime et de l’obscurantisme, des partis conservateurs, par moments des pouvoirs réactionnaires, que des forces du progrès social et de l’émancipation.
Elle a généré en retour un mouvement d’hostilité y compris chez des femmes et des hommes partageant une foi religieuse. Mais la laïcité ne juge pas le contenu de la foi dont elle affirme qu’elle relève de la liberté de conscience. Elle combat en revanche tous les cléricalismes qui entendent se substituer aux citoyens.

AEC : Est-ce que la formule de Jésus : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » vous convient ?

PK : La religion s’adresse à ses fidèles. Elle peut leur recommander une éthique de vie et la défendre publiquement. Libres à eux de la suivre ou non. Mais elle n’a pas à prétendre imposer ses conceptions à la loi. Ce fut pourtant le cas sur quasiment tous les grands débats de société, l’Eglise tentant de s’opposer aux grandes lois des libertés qu’il s’agisse du divorce, de l’égalité entre hommes et femmes, de la contraception, de l’IVG, de la révision des lois sur la bioéthiques, plus récemment du mariage pour tous ou du droit à mourir dans la dignité.
La laïcité, comme disait Victor Hugo, c’est que l’Etat soit maître chez lui et l’Eglise chez elle.

AEC : En s’attaquant à l’Eglise catholique qui était la principale composante religieuse de la France depuis près de vingt siècles, n’était-ce pas s’attaquer aussi à notre culture, à nos racines ?

PK : Il ne s’agit pas de nier l’apport culturel du christianisme qui participe de l’identité de la France avec la philosophie grecque, le judaïsme, la Réforme, l’islam, les cultures des peuples issus d’autres continents et bien évidemment le grand mouvement des Lumières. Il est important de connaître ses racines, son histoire, non pour revenir en arrière mais pour bâtir un monde meilleur et plus éclairé.

AEC : La laïcité anticléricale virulente a cessé avec la première guerre mondiale, quand il y a eu besoin d’un rassemblement de la nation. Est-ce que le programme de laïcisation était alors achevé ?

PK : C’est la laïcité qui permet la paix sociale en rassemblant tous les citoyens quelles que soient leurs convictions. Ce sont les communautarismes, le plus souvent associés à des religions, qui les enferment dans leurs origines, leur filiation, leurs appartenances. Qui revendiquent des droits et des devoirs différenciés en lieu et place des principes qui fondent la République. Qui menacent un réel vivre-ensemble et prennent le risque de dresser les uns contre les autres comme on l’a tristement constaté au cours de l’été 2014 quand certains ont tenté d’importer ici le conflit entre Israël et le Hamas.

AEC : Dans la France contemporaine, avec l’immigration musulmane, la question de la laïcité est revenue sur le devant de la scène avec force : voile islamique, exigence de menus hallal, rejet des médecins hommes pour les femmes, communautarisme, voire appel au djihad… Comment expliquer la faible mobilisation des organisations traditionnellement laïques dont l’audience, confidentielle aurait mérité d’être l’équivalent de SOS-Racisme dans les années 80 ?

PK : Il a fallu du temps aux associations laïques pour se remettre de la grande défaite de 1983 sur l’école. Pour autant, dans leur diversité, elles ont grandement contribué au retour de la laïcité dans le débat politique. C’est notamment le cas du Comité Laïcité République et du Collectif des associations laïques qui rassemble une trentaine d’organisations. Celles-ci se sont particulièrement impliquées en faveur de la crèche Babyloup, de l’application concrète de la laïcité dans le secteur public (écoles, hôpitaux, prisons, armée...). Elles travaillent sur les moyens à mettre en oeuvre pour qu’elle soit respectée dans les entreprises d’intérêt général, les entreprises privées, l’enseignement supérieur, secteurs qui posent du plus en plus de problèmes.

AEC : Y a-t-il un complexe vis-à-vis de l’islam. Un complexe qui n’existait pas vis-à-vis des catholiques ?

PK : Nous avons la mémoire courte. L’élaboration de la loi de 1905, qui est une loi de compromis, a nécessité dix ans de débats. L’Eglise ne l’a acceptée que contrainte. Aujourd’hui d’autres confessions se sont développées dans notre pays. La laïcité concerne toutes les religions, l’islam comme les autres, ni plus ni moins. Chacun a le droit de pratiquer sa religion ; chacun a le devoir de respecter les principes républicains, la liberté de conscience et l’égalité des droits entre hommes et femmes en premier lieu.

AEC : La gauche « laïcarde », à l’origine, puis au long de son histoire, a-t-elle abandonné ce volet de sa politique ?

PK : Les mots constituent les briques de la pensée. Ils ne sont pas neutres. « Laïcard » est un terme péjoratif, l’équivalent de « négro », « youpin » ou « bougnoul ». La fermeté en matière de laïcité n’est pas synonyme de sectarisme comme le sous-entend cette expression. Etre ferme est une nécessité au vu du retour du religieux en politique comme en témoigne l’actualité nationale et internationale.
Une partie de la gauche a pris du champ avec la laïcité pour de multiples raisons. Au moment de la première affaire du voile, un Premier ministre de gauche, au lieu de régler la question, a transmis le dossier au Conseil d’Etat et ouvert la voie à des interprétations de plus libérales de la loi. Quinze années ont été perdues jusqu’au moment où a été votée la loi sur l’interdiction du port ostensible des signes religieux à l’école publique. Quinze années ont été perdues qui pèsent sur le débat actuel. Dans le contexte difficile de notre pays marqué par une grande confusion il est urgent que la gauche mais aussi la droite républicaine prennent la mesure des enjeux de la laïcité. Il s’agit ni plus ni moins de rendre tout son sens au troisième terme de notre devise républicaine, celui qui fait le plus défaut, la Fraternité.

AEC : Le corps enseignant, fer de lance de la laïcité sous la IIIème et la IVème Républiques a-t-il renoncé à cette exigence républicaine avec sa perte de prestige dans l’opinion publique française ?

PK : Les instituteurs ont été les « hussards » de la République. Leur mission a été trop déconsidérée. L’école, plus que jamais, doit constituer d’abord le creuset où les enfants sont formés à devenir des êtres libres, égaux, responsables, des citoyens pensant par eux-mêmes. C’est pourquoi le projet de refondation de l’école, quelles que soient les difficultés qui sont immenses, doit être mené à son terme.

AEC : La droite et l’extrême droite brandissent la laïcité comme un étendard plus haut que la gauche désormais. N’est-ce pas là un paradoxe historique qui peut parfois faire craindre aux partisans historiques de la laïcité, au « noyau dur », d’être taxé de racisme larvé ?

PK : L’extrême-droite a tenté un véritable hold-up sur la laïcité à des fins xénophobes. Elle doit être dénoncée et combattue. Mais cela n’a été rendu possible que parce que les républicains et une certaine « bienpensance » avaient déserté le terrain.
Défendre la laïcité, ce n’est pas stigmatiser une partie de nos concitoyens, c’est au contraire affirmer l’égalité de tous et lutter contre toutes les formes de racisme. Il ne faudrait pas que le destin de la République se trouve pris dans une mâchoire d’acier entre l’extrême-droite d’une part et les communautaristes de l’autre.

AEC : La laïcité signifie d’abord égalité de tous devant la loi… comme l’était dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 l’égalité devant l’impôt. Pourquoi, hors de tout contexte politique partisan, ne pas reconnaître la laïcité comme un droit de l’homme fondamental sans lequel la République n’est pas la « res publica » mais une république communautariste ?

PK : Un signal fort doit être donné en ce sens. La Constitution stipule que la République est laïque. Afin de mettre un terme aux dérives, nous avions plaidé en faveur de l’inscription des principes de la loi de 1905 dans la Constitution. Le candidat François Hollande s’était prononcé en ce sens dans son célèbre discours du Bourget. Depuis le Conseil Constitutionnel en a décidé autrement. La question demeure entière. D’une façon ou d’une autre, il est urgent de proclamer que la République n’est pas l’addition de communautés aux droits différents mais l’ensemble des citoyens différents mais libres et égaux en droit.

AEC : La France, dans l’histoire mondiale est la « patrie des droit de l’homme » pour le passé. Quand le monde se déchire du Nigéria à l’Afghanistan en passant par la Libye, la Syrie, l’Irak, l’Iran sur des questions religieuses lourdes de conséquences pour la vie démocratique dans chaque pays et la paix internationale (expatriation de la violence aveugle : trafic aérien, train, métro…) ne pensez-vous pas qu’il est urgent de prolonger la Déclaration de 1789 (comme les élus de cette époque, l’ont explicitement voulu dans une motion adoptée le 27 août) à la laïcité et la reconnaissance du droit à la paix (que même l’ONU en 1948 n’a pas voté alors que c’est sa mission) ? La France (et ses responsables politiques) sont-il fatigués d’être la locomotive de l’Histoire ?

PK : C’est dans les périodes de crise qu’il convient d’affirmer les grands principes des Lumières et les droits fondamentaux qui ont contribué aux plus belles pages de notre histoire. Malheureusement les enceintes internationales, qu’il s’agisse de l’Europe ou des Nations Unies, sont soumises à de lourdes pressions de certaines autorités cléricales qui tentent par exemple d’interdire ici le droit à l’interruption de grossesse, là le droit au blasphème. La tâche est difficile au coeur des tensions internationales mais c’est une raison supplémentaire pour que se fasse entendre la voix de la France qui demeure, de ce point de vue, une référence respectée et même, appréciée dans le monde.

AEC : La Fayette est un héros franco-américain qui avait libéré ses esclaves (à la différence de ses amis Washington et Jefferson, premiers Présidents des Etats-Unis) Il est un des auteurs de notre Déclaration. Mérite-t-il d’entrer au Panthéon ?

PK : La Fayette fut un héros de l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique au point de demeurer un symbole de l’amitié entre les peuples américain et français. Inspiré par la jeune démocratie américaine, il fut aussi porteur des principes de la Déclaration de 1789. Sa longue vie politique l’a conduit à d’autres moments à des positions accueillies de façon plus contrastée. Panthéon ou pas, il demeure une référence incontestable."


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