Edito

Mondial : une nouvelle génération reprend le flambeau de l’universalisme (P. Kessel, 16 juil. 18)

par Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République. 16 juillet 2018

L’irruption de bonheur qu’a suscitée la victoire du XI tricolore au mondial de football, au-delà de l’exploit sportif, témoigne d’un immense appétit de faire Nation dans la concorde.

Pour la première fois depuis si longtemps, les images télévisées retransmises de toutes les grandes villes de France, montraient des dizaines de milliers de jeunes aux origines diverses, entonner la Marseillaise, scander la devise républicaine, hisser le drapeau tricolore et lancer à tue-tête des "Vive la République" qui faisaient chaud au cœur.

À la différence d’un précédent Mondial où l’on s’était déclaré "black, blanc, beur", croyant lutter contre le racisme alors qu’on l’entretenait en renvoyant chacun à sa communauté, cette fois-ci, les jeunes sur les esplanades des grandes villes comme les joueurs sur le terrain, solidaires, ont témoigné du retour de l’universalisme comme principe fondateur de la République. L’essentiel n’était plus d’où ils venaient mais où, ensemble, ils allaient. Joueurs et publics, divers par leurs origines, leurs cultures, leurs apparences, leur histoire, tous ont revendiqué haut et fort leur appartenance à la communauté nationale.
Car c’est cela la France. Non pas une addition de communautés aux droits spécifiques, de particularismes exigeant en permanence des dérogations à la loi commune, mais bien cette communion de tous les instants selon la formule de Renan, cette fusion pétrie d’universalisme, de fraternité, cette volonté de faire Nation dans la liberté de conscience et l’égalité des droits [1]. Le baron Anarchasis Cloots, orateur de la Révolution, s’exprimant de la tribune de la Législative, témoignait de l’universalisme de la Révolution française en se présentant ainsi : "Moi, baron en Allemagne, citoyen en France". C’est l’espérance sublime d’une humanité aspirant à dépasser toutes les ségrégations.
Pour cette nouvelle génération, via le sport, c’est une rencontre avec le sacré de la République. Un sacré qui ne s’apparente pas au divin mais qui élève, transcende, nourrit un espoir, une joie de vivre partagée, Frères en citoyenneté parce que divers certes mais d’abord libres et égaux.

Longtemps harcelé par les idéologies identitaires venues de l’extrême-droite et désormais aussi de l’ultragauche, contesté par les revendications communautaristes se faisant passer pour progressistes alors qu’elles fragmentent l’humanité et dressent les uns contre les autres, l’universalisme, au cœur des Lumières, serait-il en train de signer son retour ?

Simone Veil, dont les cendres viennent de rejoindre le Panthéon des "Hommes illustres", n’avait jamais manqué de souligner combien l’universalisme est essentiel à la République et à la démocratie. Curieusement, on en fit peu de cas à l’occasion de la commémoration au Panthéon. On évoqua la femme d’éthique, rigoureuse, la déportée, la ministre courageuse qui fit voter loi sur l’IVG, son travail sur la Mémoire, jamais son engagement universaliste.
C’est pourtant elle qui en 2008 s’opposa au président Sarkozy qui voulait inscrire dans le préambule de la Constitution une référence pour promouvoir la diversité ouvrant la voie au droit à la différence, dont on sait qu’il débouche inéluctablement sur la différence des droits. Simone Veil, qui présidait le comité de réflexion désigné par le président de la République, avec pour mission de repenser les principes de "l’identité républicaine", tint bon [2]. Il existe d’autres moyens pour mener une politique ambitieuse de lutte contre les inégalités, estima-t-elle. Il faut dire qu’elle savait où peuvent conduire les abjections du différencialisme, elle dont l’avant-bras conservait le numéro que les Nazis lui avaient tatoué dans les chairs à l’entrée du camp de concentration.

Au-delà de l’exploit sportif, c’est ce message optimiste de bonheur et d’universalisme retrouvé, cet appel à la fraternité envoyé par la jeunesse dont nous devons nous réjouir et que nous devons méditer.

Sans trop d’illusions, car, le soir du 14 juillet, ce sont aussi 845 véhicules qui ont été incendiés à travers la France et 508 personnes gardées à vue.
Parce que la fête du sport ne saurait faire oublier les gigantesques intérêts financiers qui se sont nourris du ballon rond ni les tentatives de récupérations politiques, de Moscou à Paris.
Parce qu’un titre mondial ne règlera pas d’un coup de baguette magique la question des cités.
Mais après tant de terreur, d’attentats, d’assassinats, de barbarie, de sentiment d’impuissance, de pessimisme, de mal-vivre, de désillusions, de dérives politiciennes, de confusions intellectuelles, au point d’en oublier parfois jusqu’aux principes fondateurs, cette explosion de joie traduit une immense espérance. Une génération nouvelle a repris le flambeau de l’universalisme et a ravivé l’espoir d’un sursaut pour une République plus généreuse, plus fraternelle, authentiquement laïque et sociale. C’est une immense chance. Nous n’avons pas le droit de la décevoir.


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Sport : compétitions internationales dans Sport (note du CLR).


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