Revue de presse

M. Pingeot : "De l’universalisme au différentialisme" (theconversation.com , 7 oct. 18)

Mazarine Pingeot, professeur agrégée de philosophie. 8 octobre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[...] Pourquoi l’universalisme est-il ainsi battu en brèche ? Pourquoi est-il interprété comme le symbole de l’oppression, le Cheval de Troie du colonialisme et de l’impérialisme, l’abri du racisme, de l’islamophobie ? [...]

L’histoire occidentale des empires coloniaux et de leur discours justifie cette méfiance. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’on en fit usage à des fins meurtrières, inhumaines de domination que ces fins sont inhérentes au concept même d’universalisme. C’est là confondre l’usage et le sens. Certes, on a beau jeu de démontrer l’interdépendance entre ces deux aspects de la chose, et qu’un usage n’est jamais externe à l’objet, ou que l’objet porte en lui les potentialités de l’usage. Pour autant, on peut aussi considérer que l’universalisme a permis au contraire l’émancipation des hommes et plus tardivement des femmes dans l’Europe des Lumières.

À chaque grande bataille de ces dernières années, et dont le cœur est souvent la laïcité, des discours en tous genres brandissent la différence comme ce qu’il y a à respecter. La différence au nom de la culture, au nom de l’histoire, au nom de la communauté, au nom de la singularité, au nom de la liberté même. Le respect de la différence en devient presque un fétichisme. La mixité, le métissage, s’en trouvent suspectés. Comme un déni de la différence qui doit être cultivée comme telle. [...]

Or de plus en plus ce respect des différences et cette pensée relativiste s’inversent en revendication identitaire. Ainsi se multiplient les groupements minoritaires qui, au départ militants pour l’égalité des droits, font de leur différence une identité agressive qui se doit d’être reconnue dans sa clôture. Ainsi est née par exemple la vague de dénonciation d’appropriation culturelle : si au départ, il s’agissait légitimement de critiquer l’appropriation d’éléments d’une culture par une culture dominante, « emprunt déplacé » quand par exemple la culture américaine née de la colonisation européenne s’approprie des bouts de culture amérindienne transformée en exotisme, alors qu’elle repose sur l’extermination de ce peuple ; si la lutte contre le « pillage culturel » est donc indispensable, elle s’est pourtant déplacée vers une interdiction pour l’« autre » en général d’emprunter un signe, une mode, une tradition qui appartiendrait exclusivement à un groupement culturel humain. Les barrières s’érigent, les groupes se parcellisent.

Les différences contingentes dont parlait Descartes pour les exclure de la définition de l’humanité reviennent sous un jour essentialiste. La différence devient l’identité. Et sans doute le problème vient-il du terme d’identité lui-même dont le sens est ambivalent. S’il tend d’un côté vers la mêmeté, le fait que chacun est identique à l’autre sous l’angle de l’humanité ou de son appartenance à l’humanité, il est plus souvent pris comme ce qui me distingue des autres, et génère de lui-même l’autre notion avec laquelle il fait couple, à savoir la différence. La revendication identitaire est certes née de la domination, de l’exclusion, du rejet lui-même adossé à des raisons « identitaires ». Mais la seule réponse possible à la domination est-elle une réponse en miroir de ce sur quoi elle se fonde ?

Étrangement, ce sont souvent les discours dits de gauche qui promeuvent la différence, quitte à ériger des frontières symboliques entre les groupes humains, au nom de la tolérance parfois proche de la « charité » et de la mauvaise conscience, et d’une lecture marxiste de la domination. Si l’égalité doit se conquérir pas à pas par le combat politique, et c’est peut-être l’aspiration principale des partis de gauche, il ne faudrait pas oublier qu’elle est difficile à penser si l’on fait l’économie de l’universalisme. Et qu’à déconstruire celui-ci, on risque de ne plus pouvoir légitimer un combat non seulement pour l’égalité réelle, mais aussi pour l’égalité des droits fondée en dernière instance sur l’égalité des hommes. Or si l’égalité des droits de groupes identitaires vient en contradiction avec l’égalité des hommes en tant qu’ils sont hommes, n’y a-t-il pas un problème ? [...]"

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