Contribution

Désinformation : le nationalisme français principal responsable de la guerre de 14 (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 16 novembre 2017

« Fier d’être Français ? », comment pourrait-on l’être à l’écoute de ce qui se dit sur les commémorations du centenaire de la Grande guerre, cette Première guerre mondiale que les journalistes présentent depuis déjà bien des années à chaque nouvelle occasion, comme la manifestation d’un nationalisme français et d’un peuple revanchard ! Ce que trop d’historiens, bien dans l’esprit du temps, ont tendance à soutenir. Comme l’exprime de façon caricaturale une collection populaire vendue en supermarché, La petite bibliothèque de l’histoire chez Larousse : « La République veut la paix, mais elle prépare la guerre. Sans pouvoir deviner que celle-ci sera une effroyable boucherie. La défaite de 1870, jamais totalement « digérée », a fait naitre dans les esprits un vif désir de revanche. La France depuis n’a pas cessé de se préparer activement à un prochain conflit. »

Ce serait le sentiment anti-allemand, alimenté par l’esprit de revanche, qui se trouverait ainsi à l’origine de cette « boucherie » ? Mais les faits sont ténus, que l’on ne rappelle jamais dans ces cérémonies officielles et médias, pour justifier cette thèse. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi.

Une histoire qui n’a rien de l’unique responsabilité de la France

L’Allemagne victorieuse de 1870-1871, avait traité avec mépris et arrogance la France en lui imposant un trésor de guerre qui la fracturait, lui enlevant l’Alsace et la Lorraine, et ce, au nom d’un régime impérial qui n’avait rien d’un modèle de liberté, alors que la France se cherchait un destin républicain. C’est avec l’appui du chancelier allemand Bismarck qu’Adolphe Thiers contiendra le socialisme parisien refusant la capitulation militaire et qu’il aura les coudées franches pour écraser la Commune de Paris dans le sang !

On oublie facilement que c’est dans le discours de Guillaume II, de mars 1905 au Maroc, à Tanger, qu’il faut peut-être chercher la véritable déclaration de guerre. Il réclame que se soumette la France à ses vues, dans un contexte où se joue l’influence des puissances européennes autour de la question coloniale, au regard de laquelle, l’Allemagne réclame sa "place au soleil". Une situation à laquelle il ne fallait qu’un prétexte pour mettre le feu aux poudres. C’est d’ailleurs l’Allemagne, qui déclarera la guerre à la France, par l’effet domino des alliances, à la suite de l’assassinat à Sarajevo de l’Archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie.

On nous fait oublier que la France comme démocratie et République, où avaient été conquises en quelques décennies les grandes libertés fondamentales, faisait face à un pouvoir impérial en retard à cet endroit sur l’histoire. Une Allemagne cultivant un nationalisme fondé sur la race et la langue, contenant le risque dans des conditions favorables, d’une idéologie qui allait prendre une guerre plus loin, l’effroyable tournure du IIIe Reich. N’est-ce pas cette Allemagne qui a formé les troupes turques qui ont commis le génocide arménien en 1915 ? Rudolf Höss, jeune officier allemand, fait partie alors de ceux venus moderniser les armées ottomanes pendant le génocide. C’est lui qui deviendra commandant du camp d’Auschwitz durant la seconde guerre mondiale. Une Allemagne qui n’a accordé que très récemment le droit du sol, en 2000, lorsque la France l’avait établi dès la Révolution française et rétabli définitivement comme un droit en 1889, la nationalité française étant acquise automatiquement pour tout enfant né sur le sol français à sa majorité. [1]

Pour ne pas en rester à ces éléments nécessairement sommaires, rapportés aux conditions d’écriture d’un article, référons-nous au grand historien des relations internationales que fut Pierre Renouvin [2], dont la pensée n’a rien perdu de sa vivacité et de sa pertinence. Il décrit l’Allemagne comme hégémonique en Europe au début du XXe siècle : « Première puissance démographique, économique, militaire. » « Plus encore que les éléments matériels » nous dit l’historien, « c’est « la volonté de puissance du peuple allemand et de ses chefs » qui va largement peser dans la balance de ce fatal engrenage. Il le voit aussi à travers la personnalité de l’Allemand nourrie au régime impérial : « Il possède l’esprit d’entreprise et la capacité d’organisation ; il a besoin d’ordre et il aime être guidé ; il a le sens du devoir - devoir dans l’armée, devoir dans le travail – le sens de la discipline et de la hiérarchie : la soumission à l’Etat lui est facile, et la notion de liberté politique ne trouve pas chez lui la même résonnance que chez l’Anglais ou le Français. »

On pourrait encore citer le grand historien allemand Fritz Fischer [3], remettant en cause dans les années 60 la thèse de « l’innocence » de l’Allemagne dominant jusque-là les esprits outre-Rhin, se posant en victime des puissances européennes, pour soutenir que l’impérialisme allemand était en fait bien responsable de la guerre. Encore, tel que le voit l’historien Jacques Droz, si les historiens allemands n’avaient pas dénoncé de façon démagogique ce qui fut désigné comme le « Diktat de Versailles », concluant la défaite de l’Allemagne, on aurait retiré un argument de poids à la propagande hitlérienne [4].

Un argument repris sans nuance encore aujourd’hui pour trouver une responsabilité à la France, dans un nazisme qui doit tout à une idéologie que l’Allemagne a elle-même nourrie en désignant la France comme coupable pour en faire l’ennemi à abattre. Bien sûr, il en est allé aussi pour la France de velléités à faire la guerre, alors qu’au début du XXe siècle elle a retrouvé sa sécurité et sa stabilité et le souci de la défense du territoire, vit dans la crainte d’une nouvelle attaque allemande, tout en entretenant le souvenir d’une Alsace-Lorraine perdue, et l’espoir de la voir revenir un jour dans le giron national.

Mais on le voit bien, attribuer au seul patriotisme français toute la responsabilité du déclenchement de la guerre, avoir une lecture à sens unique des responsabilités attribuées à la France, est totalement contraire à la réalité historique.

Une commémoration de 14-18 au service d’une Europe libérale qui se fait contre la nation

Autant de choses impossibles aujourd’hui à avancer dans cette commémoration, pour questionner, à tout le moins un peu sérieusement, de ce dont nous héritons. Une commémoration sous commande et contrôle, que l’on veut franco-allemande à tout prix, qui nivelle ainsi toute réflexion, sous le signe d’une Union européenne libérale qui entend voir s’effacer les nations, jusqu’à en réécrire l’histoire pour se donner raison. Si la droite libérale et la social-démocratie se retrouvent autour de cette lecture, il existe aussi tout un courant de la gauche radicale internationaliste qui refuse toute idée de frontière, et par son dogmatisme, participe à ce procès permanent de la nation.

On oublie encore au passage, que c’est dans son cadre que notre peuple a conquis ses droits et libertés, et qu’il peut les défendre. On donne ainsi encore une fois au FN l’initiative de façon dramatique, le peuple ne se sentant ici plus représenté par personne.

Au journal de Delahousse du 20 h de ce samedi 11 novembre 2017, un sujet était consacré à la grande guerre. Pour l’illustrer, il fallait s’y attendre, on présente l’histoire symbolique d’un soldat qui a refusé de combattre, fusillé pour désobéissance, comme le véritable héros de cette guerre. Ceci, face à ce qui est désigné comme une « boucherie » gratuite et inutile, poussant à son paroxysme le sentiment d’injustice criminelle de l’Etat français d’alors. On y va avec force émotion, en plaçant le téléspectateur dans une position subjective maximale, en l’emmenant près de la famille de ce soldat, interviewée aujourd’hui, dont on tire des larmes, surexploitées pour faire passer le message.

Un drame, une de ces horreurs de la guerre que personne ne peut approuver aujourd’hui, mais qui ne saurait justifier de tout oublier, dont l‘importance pour la France une fois qu’elle fut déclenchée, d’en sortir impérativement par la victoire. Si on suit le raisonnement de ces donneurs de leçon, c’est qu’il n’aurait peut-être pas été si grave d’être occupé par les Allemands, qui étaient à 30 kilomètres de Paris ? Même Jaurès, emblématique du combat pacifiste pour éviter cette guerre qui s’annonçait comme celle entre des impérialismes, pouvait dire : « Si notre pays était menacé (…) nous serions les premiers à la frontière pour défendre la France dont le sang coule dans nos veines, et dont le fier génie est ce qu’il y a de meilleur en nous » [5]. On se rappelle qu’il fut assassiné pour ses idées par un nationaliste le 31 juillet 1914, à quelques jours de la Guerre.

On peut voir quel usage bienpensant on peut faire facilement de l’histoire, avec ce type de jugement après coup, décontextualisé, pour se livrer à toutes les leçons de morale dont le présent passe commande ! Mais le révélateur le plus flagrant de cette idéologie tournée contre une « fierté de la France » qu’a si bien défendu Max Gallo [6], était un peu plus loin dans cette soirée. Lors du match de rugby France-Nouvelle-Zélande, on diffusait un sujet sur le sergent Dave Gallagher, dont la coupe récompensant le match porte le nom. Un Néo-Zélandais capitaine de son équipe nationale de rugby de l’époque, qui s’engageait aux côtés de la France comme 120 000 autres de ses compatriotes, pour y perdre la vie. Il n’y eu pas de mots assez forts pour dire quel héros il était, son sens du devoir et son courage, son honneur d’avoir participé à cette guerre, jusqu’à donner sa vie, comme son jeune frère.

Incroyable différence de ton, d’esprit, dès qu’il ne s’agit pas de la France pour dire toute la beauté des intentions du héros venu pour battre l’Allemagne. Serait-ce vraiment ainsi pour rien que le monde s’est ligué contre cette dernière, si on en revient à la présentation du journal de 20 h, qui n’a pas de mot assez fort pour dire l’immoralité de cette guerre et l’incurie de la France, criminalisée ?

Sous le signe de la mondialisation libérale, dont l’Europe est la succursale, on veut nous faire oublier jusqu’à l’idée de nation, de peuple et le nom même de France. Car précisément, en France, l’idée de souveraineté du peuple n’est pas dénuée de sens devant l’histoire. Rappelons-nous la souveraineté du peuple bafouée, lorsqu’après avoir rejeté le Traité constitutionnel européen d’asservissement de la France à une Europe libérale, en mai 2005, on l’imposait largement par le Traité de Lisbonne d’un Sarkozy en 2008 en le ratifiant par la voie du Parlement réuni en Congrès, la plupart des éditorialistes des grands médias à l’appui. Tout ce beau monde s’asseyant sur la nation et la liberté, et sur la volonté d’un peuple de décider, allant jusqu’à l’accuser de racisme pour avoir osé résister.

La Nation, c’est cette communauté de biens qui justifie que l’on dépasse ses intérêts particuliers et les particularismes régionaux, culturels, les origines, les couleurs et les religions, les tribus, pour faire société ensemble, pour s’unir en créant cette force qui seule permet les conquêtes sociales, la justice et la liberté pour le grand nombre, l’émancipation. Si l’évolution devait aller dans le sens du dépassement des nations, ce serait pour établir une nation supérieure, gouvernée par les peuples et non par une élite pseudo-représentative, se substituant à eux, pour des intérêts qui ne sont pas les leurs.

Un procès en racisme de la France qui nourrit la radicalisation : Assez de désinformation !

Pour couronner le tout, en fin de journal, Delahousse avait invité Daniel Auteuil et Camélia Jordana pour la sortie du film Le Brio, réalisé par Yvan Attal. Le sujet, une jeune fille, Neïla Salah, enfant d’immigrés de la banlieue parisienne, rêve de devenir avocate. Inscrite à l’université parisienne d’Assas, elle se confronte à un professeur connu pour ses provocations et ses dérapages, voire son racisme. Pour se racheter une conduite, ce dernier accepte de préparer la jeune fille au prestigieux concours d’éloquence. Le journaliste n’hésitera pas à dire, en interpellant les deux comédiens sur le plateau : « Il y en a beaucoup des Neïla », sous-entendu, victimes de ce racisme dans les universités et ailleurs. Ils ne se laisseront pas entraîner par cette invitation à faire, une fois de plus, ce procès en racisme à la France.

Un procès qui n’a aucune légitimité, car tous les indicateurs aujourd’hui nous disent le contraire. Le dernier rapport sur « la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » de la Commission nationale consultative des droits de l’homme est éloquent dans ce sens, dévoilant une belle tolérance française, loin de cette fraction de la société qui se trompe de colère en choisissant des boucs émissaires [7]. Mais le mal est fait ! On ne s’étonnera pas ensuite que galope, à l’aune de cette victimisation à outrance, un désamour de la France dans certaines de nos banlieues, jusqu’à « radicalisation », tel du pain béni pour les endoctrineurs. Le service public a, en tant que tel ici, une responsabilité, alors que l’on commémore les attentats de novembre 2015. Il a un tout autre rôle à jouer face au risque d’une « radicalisation » qui se nourrit à ce sentiment anti-France, loin de cette désinformation.

Nota bene : On serait tenté de penser avec Lénine - excusez du peu - qu’« il est vain de chercher (à la Grande guerre) les responsabilités de telle ou telle personnalité (…) mais que les hommes au pouvoir n’ont fait que continuer par le moyen de la guerre cette politique de rivalité économique dont les classes dirigeantes avaient pris depuis plusieurs années la responsabilité » (Jacques Droz). On ajoutera que ce conflit, qu’on l’ait voulu ou non, fut aussi le combat entre un Empire portant l’idée de nation s’identifiant à une « race », et une République portant l’idée de nation s’identifiant à une liberté et des droits de l’homme universels. [8] Ce que l’on ne peut juger ici comme un aspect secondaire, si on veut penser un sens à l’histoire.

[1Souligné par le CLR.

[2Pierre Renouvin, Histoire des relations internationales, Tome sixième, II- De 1871 à 1914-L’Apogée de l’Europe, Hachette, 1955.

[3Jacques Droz, Les causes de la Première guerre mondiale, Points Histoire, Seuil, 1973.

[4Ibidem.

[5Pierre Bezbakh, Histoire des figures du Socialisme Français, Bordas, Paris, 1994.

[6Max Gallo, Fier d’être français, Livre de poche, Fayard, 2006.

[7Voir la rubrique Quel niveau d’intolérance en France ? (note du CLR).

[8Souligné par le CLR, voir aussi Ernest Renan : "Qu’est-ce qu’une nation ?" (1882) (note du CLR).



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