Note de lecture

Laïcité : les occasions perdues de François Hollande (P. Kessel)

par Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République. 1er juin 2018

François Hollande, Les Leçons du pouvoir, Stock, 2018, 288 p., 22 e.

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Le président Macron, en appelant à "réparer le lien abîmé entre l’Église et l’État", a rallumé les plus vives inquiétudes chez les laïques déjà bien malmenés ces dernières années. Si ces perspectives devaient ouvrir la voie à un retour de logiques concordataires, ce serait alors l’attaque la plus virulente contre la laïcité et la loi de séparation des églises et de l’État depuis bien longtemps.

Son prédécesseur à l’Élysée aurait alors de bonnes raisons de s’en mordre les doigts, lui qui avait la possibilité de rendre la loi de 1905 inviolable et qui laissa filer cette opportunité [1]. Dans Les leçons du pouvoir, François Hollande affiche son attachement à la laïcité, indispensable à la cohésion de notre société. Mais le lecteur averti s’interroge sur la réalité du bilan : accommodements dits raisonnables, atermoiement coupables face aux communautarismes, occasions perdues et promesses non tenues.

Le temps des promesses

Sarkozy s’était livré à une attaque en règle contre la laïcité : discours de Latran plaçant le prêtre au-dessus de l’instituteur, toilettage de la loi de 1905, vote de la loi Carle élargissant encore le financement public aux écoles confessionnelles, mise en place de conférences départementales de la liberté religieuse, véritable sas pour un retour du religieux dans la vie politique…

De son successeur, les laïques espéraient un véritable sursaut. La laïcité n’était-elle pas au cœur de la culture de la Gauche ? Ne constituait-elle pas l’autre terme du projet d’une République laïque et sociale ? Dans son discours du Bourget, lors de son premier meeting de campagne, n‘avait-t-il pas choisit de faire de la laïcité le premier point de son programme ?

Mais quand Hollande arrive au pouvoir, la Gauche a déjà perdu la bataille culturelle, celle des mots et des idées. Mais elle ne le sait pas.

Elle va le découvrir dans la douleur au lendemain des attentats barbares de janviers 2015. Dans les semaines qui suivent l’immense et émouvant rassemblement populaire, des intellectuels et des journalistes prennent la tangente. La confusion gagne les têtes. "Ils l’avaient un peu cherché", lit-on à propos des caricaturistes de Charlie, sous des plumes autrefois progressistes. Un discours issu de l’ultragauche, pour qui l’islamisme politique serait en quelque sorte l’héritier de la classe ouvrière dans sa lutte contre le capitalisme mondialisé, s’installe dans le débat. Ce discours va diviser profondément la gauche comme elle ne l’avait pas été depuis la révélation de la véritable nature du prétendu paradis radieux soviétique. Et peser sur le pouvoir.

L’heure est au déni des réalités face aux incidents provoqués par les revendications et les comportements communautaristes, dérogations à la loi commune, arrangements dits raisonnables dans des crèches, des écoles, des hôpitaux, des piscines, des universités, des casernes, des entreprises...

De nombreuses études nous avaient alerté depuis le rapport Obin qui, en 2003, tirait la sonnette d’alarme. Quinze ans plus tard, fin 2017, un sondage Ipsos réalisé auprès d’enseignants [2] témoigne de l’inquiétante radicalisation religieuse dans les écoles. Un enseignant sur deux en zone sensible fait état d’atteintes au principe de laïcité. Un tiers évoque la contestation des contenus au point que 30 % en viennent à pratiquer une forme d’autocensure et 40 % adoptent une attitude modérée sur certains sujets, tel l’enseignement de la Shoah. Enfin, 63 % des enseignants en zone sensible révèlent que les préjugés antisémites sont très répandus. Il n’est plus possible de dire qu’on ne savait pas. Dans son livre, François Hollande relève lui-même que l’antisémitisme a connu une recrudescence, notamment sous la pression de l’intégrisme islamique.

Mais, le quinquennat de Hollande s’achève et il devient évident que réinstituer l’école de la République constitue la priorité des priorités [3].

Que s’est-il passé ? Nombre de dirigeants de gauche ont dit préférer se taire car ils craignaient de nourrir la xénophobie. Ils disaient vouloir lutter contre l’extrême-droite qui détourne la laïcité pour stigmatiser les musulmans. Mais, à leur corps défendant, en faisant les yeux doux au communautarisme, ils ont contribué à en faire le lit. En témoigneront les près de 11 millions de voix qui se porteront sur sa candidate au second tour de l’élection présidentielle. Quand la République a peur d’elle-même, le populisme occupe l’espace laissé vacant [4] [5].

Le temps des accommodements

François Hollande est conscient des périls que fait peser la montée du communautarisme sur la démocratie. Dès qu’on s’éloigne des principes de la République, on favorise la constitution d’une société fractionnée, fracturée en communautés bientôt rivales ou hostiles. Cette société multiculturelle loin de contribuer à l’apaisement est sans cesse traversée par des conflits ethniques ou religieux. L’identité majoritaire se rebelle et porte au pouvoir ses représentants les plus agressifs, écrit-il.

Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute, poursuit-il appelant à une application ferme de la laïcité qui n’exclut pas le discernement.

Mais dans les faits, la loi a continué d’être contournée et la laïcité fragilisée.

Pourquoi tant de tergiversations, de compromis qui résonnent comme autant de compromission ? L’État a semblé impuissant à garantir une forme de neutralité dans des lieux collectifs comme les crèches, les hôpitaux, des entreprises, des clubs sportifs et y garantir le respect des principes fondamentaux, en premier lieu, l’égalité entre hommes et femmes.

Ce sujet embarrasse la gauche, au moins depuis la première affaire du voile au collège de Creil, en 1989 quand le ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, plutôt que d’assumer l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les écoles, transmet le dossier brûlant au Conseil d’État. La République perdra 30 ans.

Régis Debray avait prévenu : le droit à la différence débouchera sur la différence des droits. C’est désormais chose faite. Ce qui est nouveau, c’est que cette revendication issue de l’extrême-droite est désormais portée par des voix de gauche. Ainsi la Fondation Terra Nova, think tank proche du PS, proposa une citoyenneté à géométrie variable pour tenir compte des origines de chacun. Le rapport Tuot dans la même veine, trouva place quelques jours sur le site de l’Hôtel Matignon !

Les plus radicaux dénoncent la laïcité comme colonialiste, islamophobe, raciste. Le travail de sape qui vise à inverser le sens des mots a payé. Le combat contre le racisme, retourné contre lui-même, cède place à son contraire, le racialisme. Le combat pour l’égalité entre femmes et hommes et pour l’émancipation est dénaturé au profit d’une campagne en faveur d’un droit à porter le voile. Les Iraniennes qui risquent leur vie en manifestant pour le droit à ne pas le porter se sentent lâchées.

Le temps des tergiversations

Pendant que la bataille idéologique fait rage, le pouvoir hésite. Ca tangue au sein de l’Observatoire de la laïcité. Son président Jean-Louis Bianco donne le ton en déclarant tout de go qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France, ce qui suscite une véritable fracture en interne. La ligne officielle, c’est la ligne molle appelant à coexister, à transformer la laïcité en une sorte d’œcuménisme interreligieux pour faire vivre ensemble des communautés grâce à une politique d’accommodements. Se souviennent-ils que la République n’est pas l’addition de communautés aux droits différents mais le rassemblement de tous les citoyens libres et égaux ?

L’affaire Baby loup cristallise les oppositions. Elle montera jusqu’aux plus hautes autorités judiciaires sans vraiment régler le dossier au fond. Il aurait fallu trancher. François Hollande laisse filer. Il renvoie dos à dos Jean-Louis Bianco et le Premier Ministre, Manuel Valls qui soutient Natalia Baléato, la directrice de Baby Loup, Samuel Mayol, le directeur de l’IUT de St Denis, Élisabeth Badinter prise à partie par le porte-parole de l’Observatoire. Entre la vision communautariste et la vision laïque, le président choisit de ne pas choisir.

Le temps des occasions perdues

En matière d’extension des libertés, François Hollande tient bon sur le Mariage pour tous face à la conjonction des conservatismes religieux mais abandonne le droit à mourir dans la dignité, pourtant soutenu par près de 90 % des citoyens. Pourquoi n’avoir pas proposé un référendum donnant la parole au peuple comme vient de le faire l’Irlande à propos de l’interruption de grossesse ?

En matière de laïcité, il choisit de pas toucher à la loi Carle qui aurait mérité d’être à tout le moins aménagée. Mais c’est une proposition capitale qui est passée à la trappe : la proposition 46, celle qui ambitionnait d’inscrire dans la Constitution les deux premiers articles de la loi de 1905 : la République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes, ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

En donnant à ces principes pleine valeur constitutionnelle, l’intention était de donner à la République les moyens de se protéger du communautarisme et de fermer la porte au retour du religieux en politique. Elle sera abandonnée en rase campagne.

Un renoncement qui se révèle être une faute quand le successeur de François Hollande en appelle au rétablissement du lien entre les églises et l’État !

Désormais l’ancien président qui pense peut-être pouvoir prendre sa revanche lors de la prochaine présidentielle, n’a que des mots aimables sur la laïcité. Les socialistes sont les mieux placés pour défendre la laïcité qui garantit l’unité du pays, écrit-il.

Encore faudrait-il livrer la bataille culturelle, celles des valeurs et des principes républicains en l’occurrence, sans lesquels il n’y a pas de victoire politique, convaincre des dangers que le communautarisme fait courir à la paix civile et que la gauche ne se reconstruira qu’en se ressourçant à ses fondamentaux : l’émancipation, la laïcité et le progrès social.


Ce texte est la version longue de la tribune publiée vendredi 1er juin 2018 dans l’hebdomadaire Marianne.




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