La République est-elle en deuil de la laïcité ?

Par Emmanuel Dupuy, Président de l’Union des Républicains Radicaux (U2R) 15 novembre 2005

Plus qu’un mois avant la fin de l’année 2005, promise à la commémoration de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, votée le 9 décembre 1905. Or, l’évènement n’a pas été à la hauteur de cette loi fondatrice de notre République.

En dressant le bilan de ce qui aurait dû être fait, il n’est pas exagéré d’affirmer que la République a loupé son rendez-vous historique avec la communauté nationale largement acquise à cette loi ancrant la liberté individuelle de conscience et d’expression et la séparation entre les sphères publiques et privées dans le marbre.

Ainsi, en voulant remettre en cause ou en négligeant la portée de la loi de 1905, qui mit fin à des siècles d’affrontement entre religions et communautés, l’on minore l’instrument de
de paix et de vie commune qu’est la laïcité.

Là où la célébration de la modernité des valeurs de la laïcité aurait dû être une fête « œcuménique », à travers tous les territoires de la République et à l’unisson des citoyens, nous n’avons assisté, tout au plus à une mobilisation de façade, engoncée dans les salons parisiens à travers quelques colloques.

En faire le moins possible semble avoir été le credo voulu par le Gouvernement… Et ce n’est pas la très confidentielle Mission de célébration du centenaire de la loi 1905, confiée au Vice-président de l’Académie des Sciences morales et politiques, qui aura joué son rôle de révélateur de la modernité de la laïcité, ni les bonnes intentions de façade du Président de la République et la rhétorique de son Premier ministre qui y auront changé quelque chose. Sans même parler de la « commission de toilettage » chargée de la réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, confiée au professeur Machelon, qui placée sous l’égide du ministre de l’Intérieur, n’a d’autres buts que de faire rompre avec un passé républicain unificateur au profit d’autant de « Républiques des communautés »…

Que dire aussi de l’absence délibérée de couverture de la part des médias, en particulier ceux relevant du service public ? Pas de volonté ostentatoire de faire de l’évènement, pourtant programmable longtemps à l’avance, le levier pour redire combien la laïcité est le rempart face aux communautarismes et le gage du bien être collectif des Français, quand, par ailleurs, on joue sur la corde sensible du conflit des civilisations.

2005 n’aura ainsi pas été 1989, ni même 2001, quand la République avait su redonner tout son faste aux idéaux de la Révolution française et en revalorisant la liberté d’association établie en 1901.

Pourtant, la République laïque, c’est le règne du droit commun pour des citoyens égaux en droit indépendamment de leurs appartenances, ce que résume la formule selon laquelle la République reconnaît le droit à la différence mais pas la différence des droits. C’est aussi le rempart contre les principaux maux qui gouvernent le monde - face à l’obscurantisme dans les relations internationales et l’arme pour promouvoir l’égalité des chances et la mixité sociale. L’universalisme laïque résonne ainsi à travers la planète comme projet de société humaniste dans la mondialisation, afin de garantir la citoyenneté contre les replis identitaires et les intégrismes…

Dès lors, que dire, de ceux qui cherchant la rupture comme marqueur politique, se perdent en conjectures hasardeuses ? Pourquoi vouloir toiletter quand il suffirait d’appliquer ? Cette prise en otage de la laïcité a en tout état de cause, comme premier effet de rendre caduque la recherche du bien commun, en privilégiant l’équité à l’égalité…

Il est ainsi indéniable que l’absence de mobilisation officielle, aura été source de bien des atermoiements. A cela, la réponse des associations, syndicats, partis politiques progressistes doit être d’autant plus forte et caractérisée par l’unité, le rassemblement et l’appel à la mobilisation des Français pour redire leur attachement à la laïcité et à l’idéal républicain, comme est venu le rappeler le résultat du 29 mai.

La manifestation du 10 décembre rassemblant plusieurs milliers de personnes entre la place de la République et l’Assemblée Nationale y participera, en guise de préambule à une laïcité aussi présente en France qu’à travers le monde.

Il faut ainsi profiter des deux mois nous séparant de la fin de ce centenaire pour proposer des mesures fortes. Profitons ainsi du centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor et de la proclamation de 2006 comme année de la Méditerranée, pour faire le lien entre laïcité, humanisme francophone et projet de civilisation en France, en Europe et au-delà…

Profitons du débat sur l’école publique, pour dénoncer les tentatives de « différencialisme » et pour redire combien il importe de la sanctuariser pour garantir l’impartialité et la promotion partagée des savoirs fondamentaux, ouvrant la voie à l’émancipation.

Luttons pour que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, les bustes de Marianne soient effectivement présents dans les établissements scolaires, de même que la devise républicaine qui n’orne, hélas, pas toutes les façades de la République… Agissons également pour qu’une Charte de la laïcité, rappelant les droits et devoirs des citoyens, en dix points, soient affichée dans l’espace public.

Ne passons pas à côté du débat quant à l’intégration, l’égalité des chances, porté par certaines carences de l’intégration républicaine que l’on ne peut nier. Mobilisons nous pour redire combien il importe de se reconnaître dans ce dénominateur commun et non le dénoncer comme ringard pour mieux répondre à ses défis,

Sachons ainsi, à l’instar de Gambetta, faire des citoyens plutôt que de se contenter d’en reconnaître...

Il n’est pas trop tard, si l’on veut garantir pour cent ans encore, l’égalité, la fraternité et la liberté qui répondent en écho à la laïcité.


Emmanuel Dupuy est membre du Bureau du Comité Laïcité République (note du CLR, 2008).


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