Revue de presse

"L’étranger, un fonds de commerce électoral ?" (Fatima Orsatelli, Libération, 25 sept. 12)

25 septembre 2012

Par Fatima Orsatelli Conseillère régionale de Provence-Alpes- Côte d’Azur, apparentée socialiste, déléguée à la Politique de la ville

"La question du vote des étrangers aux élections locales a entraîné une crispation comme seule la classe politique en a le secret : parler de l’accessoire et cacher l’essentiel. Il faut dire que cette mobilisation, de droite comme de gauche, marque une nouvelle tentation d’instrumentaliser la situation des étrangers de notre pays au service d’arrière-pensées électorales. Depuis trop longtemps, dans notre république laïque, les politiques se sont laissés aller à qualifier des habitants de notre pays, qu’ils soient nationaux ou étrangers, selon leur origine religieuse. On en est venu à stigmatiser des millions de gens en associant leur confession religieuse à des mots blessants.

Le débat du second tour de la présidentielle avait atteint un sommet de crispation. Face à la musique ensorceleuse du président sortant enfourchant le soupçon des origines et des présences illégitimes, le candidat Hollande avait réaffirmé avec conviction le refus des amalgames associant étrangers, immigration, délinquance ou chômage. Notre pays est sur le point de repartir dans cette querelle. A droite, la peur de se voir dépasser par le Front national anesthésie toute velléité de débat serein. A gauche, les comptes d’apothicaires politiques empêchent d’emprunter les routes du bien vivre ensemble. De grâce, après les années Sarkozy de débat sur l’identité nationale, il est insupportable de vouloir ériger le vote des étrangers en porte-étendard d’une pureté du respect des engagements du candidat Hollande devenu chef de l’Etat. Notre démocratie locale est fatiguée. Permettre à des étrangers de voter ne permettra pas de redorer son blason.

Pour y réussir, mieux vaudrait favoriser l’essor de budgets participatifs, ouverts sans critère de nationalité. Mieux vaudrait des élus soucieux de la découverte des différences, sans tentation communautariste. Mieux vaudrait mettre fin au cumul des mandats pour des élus plus disponibles, consacrés au seul mandat confié.

Les étrangers vivant dans notre pays sont aussi fatigués. Leur aspiration première n’est pas de pouvoir voter aux élections locales, mais d’être considérés pour leurs apports à la vie nationale, aussi bien dans la sphère économique que sociale. Leur demande est de voir appliquer pour eux ce que les donneurs de leçons leur opposent le plus souvent : une laïcité active, où la liberté religieuse signifie aussi la liberté de pratiquer son culte sans la considérer comme le déterminisme de comportements sociaux.

Quand Manuel Valls pointe l’absence de revendication d’une telle mesure dans la société et le risque d’une nouvelle querelle mortifère pour notre bien vivre ensemble, je lui donne raison. La justification d’un vote des étrangers, sas vers une intégration réussie, est un argument réducteur. Aucun des quatre piliers de la nationalité française si bien décrits par Patrick Weil (l’égalité, la langue française, la mémoire positive de la Révolution, la laïcité) ne fait référence au local. Rattacher au local l’aspiration à l’universel est une démarche réductrice pour des élus en mal de compréhension de cultures différentes, vues trop souvent, par le prisme du danger de la différenciation.

Dans sa cinquantième proposition, Hollande avait pris soin de conditionner toute participation à un scrutin local à cinq ans de résidence. C’est la même période qui ouvre droit à une demande de naturalisation, susceptible à certaines conditions d’être réduite à deux années. Tirons les enseignements de ce recouvrement pour inciter ceux qui veulent participer à notre démocratie locale, à entrer de plain-pied dans la communauté nationale, la démarche que j’ai moi-même entreprise à mes dix-huit ans révolus. Evitons de les faire passer par la petite porte, celle d’un droit qui serait décrié, fragilisant leur situation pour en faire les otages d’un débat. La lucidité sur l’état de notre pays montre que le débat ne peut être mené sereinement dans une période où la recherche des boucs émissaires reste le sport favori d’une partie de notre classe politique, qui ne manquera pas de nous rappeler à notre tradition républicaine d’éviter de modifier les règles d’un scrutin à moins de douze mois de la tenue de celui-ci. Evitons à ceux que nous accueillons la désillusion d’un acte de concorde qui mène droit à la discorde."



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