Revue de presse

L. Bouvet : « Une véritable idéologie dont la logique a déconstruit l’autorité dans l’école » (Le Figaro, 19 jan. 15)

Laurent Bouvet, professeur de science politique, auteur de "L’Insécurité culturelle" (Fayard, 2015). 20 janvier 2015

LE FIGARO. - Imposer aux élèves de se lever ou encore de chanter La Marseillaise fait partie « des choses qui me paraissent devoir ne pas être prises à la légère », a estimé Najat Vallaud-Belkacem. Que cela vous inspire-t-il ?

Laurent BOUVET. - L’idée que l’école soit un lieu où les choses se passent différemment de la société, en particulier en termes de comportement des élèves, me paraît fondamentale. Cela passe par l’autorité, c’est-à-dire que l’école soit organisée autour du fait que l’élève n’est pas dans une situation d’égalité avec les adultes qui y interviennent, notamment de l’enseignant. Cela peut passer par des éléments formels (se lever à l’entrée d’un enseignant dans la classe, la présence d’une estrade dans celle-ci, un système de sanctions efficace...) mais surtout par un réinvestissement dans les programmes et les activités scolaires de l’esprit républicain, de ce qui nous est commun plutôt que de ce qui nous sépare et valorise nos différences.

Cela ne va-t-il pas totalement à l’encontre de quarante ans de « pédagogisme » ?

Cela va à l’encontre d’un ensemble de réformes et de prescriptions devenues une véritable idéologie avec le temps dont la logique a précisément consisté à déconstruire l’autorité dans l’école, à « ouvrir » l’école sur la société ou encore y faire entrer les différences et les spécificités culturelles de chacun. Qu’il s’agisse des comportements ou des programmes. L’élève ne doit pas apporter à l’école ce qu’il est, ses différences (sociales, culturelles, religieuses, etc.) aussi légitimes soient-elles, il doit apporter chez lui, de l’école, la République et les principes communs qui la fondent : la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité. Il faut inverser le sens de circulation entre l’école et la société qui s’est imposé depuis des décennies.

Même si la ministre était réellement déterminée, serait-elle suivie par les hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale ?

Il y a trois questions en une ici. La première est celle de la volonté politique de mettre en oeuvre une politique différente de celle qui s’est mise en place depuis longtemps, gauche et droite confondues. Et donc de savoir à quel point l’idéologie dominante dont on parlait plus haut a pénétré le milieu politique et ses responsables, à gauche et à droite d’ailleurs.
La deuxième question tient à la capacité du politique à faire respecter ses décisions par son administration et de faire appliquer les orientations choisies. Là aussi c’est une question d’abord idéologique : l’Éducation nationale comme machine administrative est-elle capable de faire autre chose que ce qu’elle a produit depuis des décennies ? Je suis assez pessimiste sur une telle possibilité. Mais c’est aussi une question de sociologie : qui sont les cadres de cette administration et comment sont-ils choisis ? Suivant quels critères peut-on occuper des fonctions d’autorité et de direction dans cette administration. Les travaux sur l’Éducation nationale montrent que les grandes orientations ont souvent été choisies par les hauts cadres de son administration.
La troisième question, celle qui permet de relier les deux premières, est celle du poids des syndicats dans l’Éducation nationale, et en particulier pour la gauche, du relais et de la clientèle politique qu’ils représentent.

La gauche, longtemps tentée par la ligne libérale libertaire de Terra Nova, peut-elle renouer avec la mystique républicaine, et en quoi cette dernière vous paraît indispensable ?

Sans avoir même besoin d’évoquer Péguy ou le mythe de l’école républicaine de son époque, chacun (parents d’élève, enseignants, militants politiques, syndicaux et associatifs, simples citoyens...) peut constater aujourd’hui que l’école républicaine ne répond plus ou du moins très mal à ses missions fondamentales malgré des investissements considérables ces dernières décennies : du point de vue des résultats scolaires des élèves (comparés à ceux d’autres pays notamment) ; du point de vue de l’égalité sociale (elle renforce plutôt les inégalités) ; comme, évidemment, du point de vue de la cohésion nationale et de la création d’une « communauté de citoyens ». Et qu’il faut donc, a minima, se poser la question d’une remise à plat. Si la tragédie que l’on vient de vivre pouvait au moins servir à ça, ce serait déjà bien."

Lire « Une véritable idéologie dont la logique a déconstruit l’autorité dans l’école ».


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