Revue de presse

L. Bouvet : « Distinguer la question de la laïcité et celle de l’insécurité culturelle » (lefigaro.fr/vox , 3 nov. 17)

Laurent Bouvet, universitaire, auteur de "La gauche Zombie" (Lemieux) et "L’insécurité culturelle" (Fayard). 4 novembre 2017

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Laurent Bouvet revient sur la décision critiquée du Conseil d’Etat d’ôter une croix d’une statue de Jean-Paul II au nom de la laïcité. S’il approuve cette décision qu’il juge incontestable sur le plan juridique, il prend aussi au sérieux l’inquiétude culturelle provoquée par celle-ci."

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"[...] D’un point de vue juridique, du point de vue de la laïcité dans les textes, il n’y a aucune distinction possible entre les religions, toutes se valent d’une certaine manière au regard de la loi. Et celle-ci doit donc s’appliquer avec la même rigueur à l’ensemble des situations dans laquelle une religion est impliquée.

Si l’on considère en revanche la laïcité « dans les têtes », en termes politiques et culturels donc cette fois, c’est évidemment très différent, et les distinctions entre les croyances et confessions présentes dans la société sont nombreuses.

De ce point de vue, le catholicisme et l’islam ne sauraient être perçus de la même manière, on le voit par exemple en matière de lieux de culte : l’Eglise catholique dispose de nombreux édifices construits avant 1905 dont les collectivités publiques sont propriétaires et assurent l’entretien, alors que l’islam qui s’est installé en France au XXème siècle n’est pas dans une situation comparable.

Cette longue tradition chrétienne en France comme dans les différents pays européens, avec des spécificités fortes, n’a pas fait que façonner les paysages de nos villes et campagnes, elle a aussi fortement contribué à la naissance et au développement même des idées et des visions du monde qui sont aujourd’hui les nôtres, et qui ne sont pas nécessairement les mêmes que dans d’autres contextes religieux de par le monde.

Le mouvement philosophique de la modernité, et la sécularisation de ces sociétés, sont nés précisément dans le contexte du christianisme occidental - avec la Réforme notamment qu’on peut citer puisqu’on en célèbre en ce moment le 500ème anniversaire -, à la fois dans la continuité de celui-ci et contre celui-ci, dans un mouvement riche et complexe qui fait ce que nous sommes, aujourd’hui. L’idée même d’une société qui permette à chacun, individuellement, à la fois de croire librement, ou de ne pas croire, est le résultat de cette longue évolution, sur plusieurs siècles.

Tout ceci nous l’avons, collectivement, en nous, si l’on veut, c’est en tout cas ce qui fait ce que nous sommes. Et c’est d’ailleurs précisément pour cela que nous avons été capables d’inventer un principe comme la laïcité.

Aujourd’hui, c’est dans cette histoire, dans ce cadre particulier, que se pose la question de la présence d’une religion comme l’islam, qui n’a bien évidemment ni la même présence historique ni le même poids culturel dans cette histoire, au sein de la société française.

Une question devenue centrale en raison à la fois du nombre de nos concitoyens qui se déclarent musulmans (on parle couramment de 2ème religion après le catholicisme) et des défis internes auxquels est confrontée cette religion depuis quelques années voire décennies, avec des conséquences géopolitiques et « sociétales » qui en débordent largement le cadre.

Si la laïcité « textuelle » ne peut assurément pas répondre à tous les enjeux nés de cette présence de l’islam dans la société française, on ne peut pas non plus considérer que la tradition chrétienne, catholique plus précisément, le puisse, à elle seule, de son côté. Certains peuvent le souhaiter mais ce n’est ni majoritaire ni opératoire politiquement.

On peut d’ailleurs souligner que les catholiques qui se reconnaissent comme tels ne sont pas tous nécessairement d’accord sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’islam ou de leurs concitoyens qui se reconnaissent comme musulmans.

C’est pourquoi il faut réfléchir à ce qui nous est commun au-delà de nos appartenances religieuses et, plus largement, culturelles. Celles-ci sont indispensables, au sens où elles forment la base de notre identité mais elles ne nous sont souvent d’aucun secours, sinon par l’imprégnation historique et le long travail qu’elles produisent sur la société, lorsqu’il faut envisager les principes de notre vie commune. Un citoyen ne se réduit pas à la somme de ses différentes composantes identitaires.

Et si l’on peut se lier à d’autres en fonction de telle ou telle de ces composantes - l’étymologie même du mot religion en témoigne -, on ne peut se lier à tous qu’en étant capable de les dépasser. Non pas en les oubliant mais en les mettant au service d’une raison politique commune, celle qui permet à la fois de penser une identité collective réellement choisie et un accès à l’universel humain.

C’est ce qui me semble aujourd’hui trop souvent oublié ou tout simplement absent de nos débats publics. [...]

La laïcité comme principe juridique n’est pas en soi « tatillonne » même si parfois son interprétation peut être à géométrie variable, hélas. On le voit désormais pratiquement tous les jours, où de soi-disant spécialistes de la laïcité (universitaires comme hauts responsables de l’Etat) viennent expliquer qu’elle garantit la « liberté religieuse » (sic) ou encore la coexistence des religions dans l’espace public !

Je m’inquiète quand je vois notamment que ce sont des gens qui forment de futurs enseignants par exemple en la matière. Il y a là une volonté délibérée (je ne peux imaginer une seconde qu’ils soient incapables de lire le texte de la loi de 1905 correctement…) de tordre le texte lui-même pour le faire correspondre à des idées politiques.

C’est aussi à cause de ce genre d’interprétations fallacieuses que les crispations se multiplient. Les adversaires de la laïcité, notamment de la loi de 2004, s’appuyant sur ces interprétations pour remettre en cause les fondements mêmes de notre contrat social. [...]

La difficulté vient de ceux qui mettent leur foi en avant comme un élément non pas parmi d’autres de leur identité mais comme le principal voire le seul suivant lequel les autres doivent s’aligner. Dans de tels cas, cela provoque souvent des frictions avec leurs concitoyens, leurs collègues de travail, leurs voisins, etc., qu’ils soient eux-mêmes musulmans ou non d’ailleurs. C’est donc plutôt la manière de vivre sa foi religieuse qui pose problème que celle-ci en tant que telle.

Or si nous n’avons rien à dire, du point de vue de la citoyenneté, comme de la laïcité, sur la bonne manière de vivre sa foi pour un croyant, en revanche lorsque celle-ci a des conséquences sur d’autres croyants qui ne vivent pas leur foi de la même manière ou évidemment sur d’autres personnes qui n’ont pas la même croyance, alors là, nous sommes tous concernés, comme citoyens. [...]

Je pense qu’on réglerait nombre de problèmes suscités par la gestion du fait religieux aujourd’hui en politique si les responsables politiques, en fait les élus des différentes collectivités publiques, notamment les chefs des différents exécutifs, s’abstenaient de participer à des cérémonies religieuses ou d’organiser dans les locaux de ces collectivités des festivités à connotation religieuse.

Qu’ils y participent à titre privé, cela ne pose aucun problème mais qu’ils le fassent (souvent pour des raisons électoralistes qu’on peut par ailleurs comprendre) au titre de leur mandat, je trouve que cela pose davantage de problèmes que ça n’apporte de solutions. [...]

Si l’on essaie même pas de proposer une version à la fois cohérente, juste et substantielle de l’idéal républicain, avec son indispensable composante laïque puisque nous sommes en France, on ne risque pas de savoir si ça peut fonctionner.

C’est malheureusement ce qui se passe depuis des années, voire des décennies. Comme si nous avions capitulé sans même combattre. A la fois devant les injonctions d’un libéralisme hyper-individualiste débridé qui a atteint toutes les sphères de notre existence et devant les revendications démultipliées de l’âge identitaire.

Les deux se donnant parfaitement la main puisque le déploiement de la liberté contemporaine, la fameuse émancipation, se fait en suivant uniquement le chemin de droits individualisés et sans limite. L’identité différenciée de chacun devenant un point de mire indépassable de toute sociabilité. [...]"

Lire "Laurent Bouvet : « Il faut distinguer la question de la laïcité et celle de l’insécurité culturelle »".



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