Revue de presse

Jean Rouaud : "Le porc de l’angoisse" (L’Humanité, 22 av. 14)

24 avril 2014

"En se réclamant de la laïcité pour interdire un quelconque régime de faveur dans les cantines des établissements scolaires des villes dirigées par le Front national, sa présidente nous en offre une définition en creux.

Est laïc celui qui mange de tout, tous les jours et n’importe où. Même si on comprend immédiatement qu’elle ne vise pas le gratin de choux-fleurs ou les raviolis du lundi.

Manger de tout pour elle ne concerne en fait que le seul plat à base de porc. C’est pour elle et tous les intégristes de la laïcité une sorte d’épreuve de vérité, de jugement de dieu laïc. On l’imagine au tribunal en grande inquisitrice faisant amener un saucisson pour tester un hérétique et l’enjoignant d’en avaler une rondelle devant elle. Toute la salle est suspendue au geste du suspect. L’avale-t-il, il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres. Ou fait-il la grimace en la repoussant, et la sentence tombe : la rouelle ou le charter.

Par quoi elle rejoint ce groupe identitaire qui proposait une soupe populaire sélective, à base de cochon toujours (où l’on voit que dans le cochon, tout n’est pas bon), obligeant certains affamés à choisir entre leur estomac et l’apostasie. Comme ceux qui comptent le porc parmi leurs interdits sont musulmans et juifs, on voit se dessiner sa conception de l’identité nationale.

Mais la présidente de la charcuterie devrait aller plus loin dans la recherche du bon Français. Les végétariens s’éliminant d’eux-mêmes, on lui suggère de mettre son rôti de porc au menu du vendredi. Et là, outre les musulmans et les juifs, elle verrait se lever de table des enfants catholiques pratiquants qui font maigre ce jour de la semaine en souvenir de la crucifixion.

Dans le pays chouan d’où je viens, aucun enfant n’aurait accepté d’avaler une bouchée de viande le vendredi, préférant jeûner plutôt que de commettre un sacrilège. Par crainte de l’enfer, mais pas seulement : cela faisait tout simplement partie des choses qui ne se faisaient pas. Ce qui fonde un groupe.

C’est pour cette pieuse raison qu’on a continué de servir longtemps, et dans nombre d’endroits qui n’avaient rien de catholiques, du poisson le vendredi. La République n’avait jusque-là pas protesté. Mais ce qui ferait, cette levée en masse des enfants difficiles de la cantine, double ration pour les vrais laïcs demeurés à table.

En quoi la fille rejoint le père qui estimait que les immigrés, en prenant leur travail, mangeaient en quelque sorte le pain des Français. Dans leur conception de la nation, ils ne tiennent pas à ce qu’il y en ait pour tout le monde. On y revient."

Lire "Le porc de l’angoisse".


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