Revue de presse

H. Peña-Ruiz : "La fiction de l’identité collective -1" (Marianne, 14 juin 19)

Henri Peña-Ruiz, philosophe et écrivain, Prix de la Laïcité 2014, auteur de "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon). 19 juillet 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Qui suis-je ? L’identité personnelle est une construction singulière. Pour être libre, elle doit mettre enjeu une personne qui ne soit pas d’emblée déterminée par des appartenances coutumières ou religieuses. Ou qui soit capable de s’en affranchir après l’avoir été. Une telle liberté, ou plus souvent une telle libération, consiste à s’affirmer soi-même comme auteur de son être, à distance de tout conditionnement venu du groupe. Le cahier des charges d’une telle liberté est exigeant, et d’autant plus difficile que le groupe particulier fait davantage pression pour que ses membres agissent selon les normes qu’il impose de façon multiforme. L’éducation, les us et coutumes, les représentations idéologiques et religieuses, tendent alors à façonner la conscience, voire à soumettre toute identité individuelle à une identité dite collective. Celle-ci se met en scène comme un récit qui agence un ancrage historique duquel tout individu doit ou devrait répondre.

Pas d’identité sans appartenance… Mais que devient dans ce cas la liberté de l’individu ? Oblitérée par des mimétismes et des pressions implicites ou explicites, elle est compromise. Souvent avec le consentement de la personne soumise, qui en vient à vivre sa soumission comme une affirmation volontaire, voire un accomplissement, alors même qu’elle jure de déployer une lutte contre tout type d’assujettissement raciste ou néocolonialiste. La dynamique de la personne singulière, sujet libre de se construire à sa guise, peut ainsi se perdre dans la fiction de l’ « identité collective ». Ce n’est pas ainsi que Houria Bouteldja vit les choses quand elle écrit : « Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches. […] J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam » (Les Blancs, les Juifs et nous, La Fabrique, 2016).

Comment comprendre une telle assignation, qui au passage réhabilite l’opposition du eux et du nous et l’utilisation irrecevable du concept de race pour les êtres humains ? Untel texte ne veut reconnaître aucune portée universelle à l’émancipation de la femme, d’emblée assignée à une couleur de peau particulière. Pourtant, la libre disposition de son corps est un droit universel, conquis à rebours du machisme patriarcal, qui a sévi en Occident comme en Orient. Un droit issu de la tradition des opprimés et non de celle des oppresseurs."

Lire "La fiction de l’identité collective (1)".


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