par Edouard Moreau. 26 novembre 2022
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Guy Haarscher, La Laïcité, éd. Presses universitaires de France, coll. Que sais-je ? 1996, 128 p.
Que nos pages proposent des recensions de livres traitant de sujets les plus divers [1], et non le Que sais-je ? sur la laïcité, c’était une anomalie qu’il fallait corriger.
Qui n’a pas eu entre les mains un des volumes des Que sais-je ? ? « Volume » est d’ailleurs un terme inapproprié puisque le nombre de pages est limité à une (grosse) centaine.
Dès qu’on veut prendre connaissance de l’essentiel sur une question, on se plonge dans la collection éditée par les Presses universitaires de France (PUF).
Encore faut-il que l’auteur s’en tienne à « faire le point », et non alimenter la confusion.
Nous avons retrouvé dans notre bibliothèque l’édition de 1996 du Que sais-je ? consacré à La Laïcité.
C’est un ouvrage remarquable : la laïcité y est étudiée dans toutes ses dimensions : historiques, françaises, internationales, mais aussi scolaires, philosophiques, socio-politiques.
Pour définir la laïcité, G. Haarscher a la perspicacité, dès 1996, de mettre en premier non pas la Séparation mais la liberté de conscience : « L’Etat n’appartient pas à une partie de la population, mais à tous, au peuple (laos en grec), sans que les individus puissent être discriminés en fonction de leurs orientations de vie ». Ne constate-t-on pas aujourd’hui que la laïcité est d’abord menacée non pas par les institutions mais de l’intérieur de la société ? [2]
Et de préciser : « L’Etat renonce à user de la violence pour imposer une orientation de vie officielle, mais il use de son monopole de la contrainte pour empêcher les particuliers de faire de même. »
Si l’on approuve l’idée, chacun a bien compris que de la théorie à la pratique...
Le chapitre consacré à la laïcité française est à recommander aux écoliers, collégiens, lycéens et étudiants, tant il synthétise de manière très pédagogique les différentes étapes : monarchie de droit divin, gallicanisme, Révolution et Constitution civile du clergé, Concordat, Séparation.
C’est quand l’auteur examine la « laïcité » dans d’autres pays que l’on peut commencer à émettre des réserves. Parce que G. Haarscher alimente la confusion « laïcisation ou sécularisation ».
Quelle « laïcité » quand, en Belgique, elle n’est qu’un des « piliers », à côté des religions ?
« La laïcité, au lieu de constituer, comme en France, un principe légal (1905), puis constitutionnel (1946 et 1958) , devient progressivement une sorte de petit « pilier » de la société belge ».
La laïcité est-elle « une religion de trop » ? G. Haarscher questionne en effet : « Peut-on impunément ramener la laïcité à une composante idéologique de la société alors qu’elle devrait en constituer le fondement même ? »
Et quand, au Royaume Uni, le roi est à la fois le chef de l’Etat et le patron de la religion dominante, 26 évêques anglicans siègent de droit à la Chambre des Lords [3] ? Quand le président des Etats-Unis d’Amérique prête serment sur la Bible ?
Sont évidemment abordés la question scolaire, l’exception de l’Alsace-Moselle.
Quant au « foulard islamique » à l’Ecole, l’auteur assène : « Une conception stricte de la séparation : la religion doit être confinée à l’espace privé ».
Or, ce n’est pas ce raisonnement qui, quelques années plus tard, a amené le législateur à interdire les signes religieux ostensibes à l’Ecole. Catherine Kintzler par exemple explique que l’école publique primaire et secondaire, parce qu’elle accueille « des libertés en voie de constitution », n’est pas pas un « lieu de simple jouissance des droits, qu’elle contribue à rendre possibles ». Henri Pena-Ruiz précisera pourquoi le régime de liberté à l’école n’est pas le même que dans le reste de la société civile. « Primo, car pour être disponibles à l’enseignement, les élèves ne doivent pas être divisés par des signes d’appartenance religieuse ou d’athéisme. Secundo, parce que n’étant pas parvenus à maturité, ils ne peuvent pas bénéficier du même régime de liberté que les adultes » (letudiant.fr , 13 jan. 15).
La fin de ce livre est encombrée de longues considérations sur « le Juste et le Bien ». L’auteur estime que la puissance publique n’a pas à édicter le « Bien » mais le « Juste ». C’est une approche intéressante mais selon nous trop subjective pour figurer dans un Que sais-je ?
Car enfin qu’est-ce qu’est le « Bien » ? Il semble entendre par là ce qu’édictent les religions. Mais quid de l’intérêt général, voire de l’ "Etat de droit" ?
Edouard Moreau
[1] Voir les autres Notes de lecture dans Culture (note du CLR).
[2] Lire Ph. Raynaud : Le problème est "d’empêcher qu’une partie religieuse de la société puisse asservir le reste de la société" (marianne.net , 27 mars 19) (note du CLR).
[3] Un twitto persifleur écrit : "Ce qui fait du RU un des deux seuls pays au monde où des représentants de la religion d’État ont un droit automatique à appartenir au corps législatif.
L’autre c’est l’Iran".
Voir aussi dans la Revue de presse H. Peña-Ruiz : "Une spiritualité multiple, une laïcité unique" (Le Monde, 4 août 16) et H. Baubérot, P. Portier : "Non, M. Pena-Ruiz, la laïcité n’est pas unique !" (Le Monde, 16 août 16)
N. Geerts - Belgique : Un modèle à mi-chemin entre « multiculturalisme à l’anglo-saxonne » et « laïcité à la française » (marianne.net , 27 sept. 22) dans Belgique (note du CLR).
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