Revue de presse

Europe : Macron cherche à imposer un combat binaire entre "progressistes" et "populistes" (G. Tabard, Le Figaro, 11 juil. 18)

Guillaume Tabard, rédacteur en chef et éditorialiste politique au "Figaro". 11 juillet 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Diaboliser les nationalistes ne fera pas aimer l’Europe

C’est simple. C’est binaire. C’est primaire. « Il faut le dire clairement, la frontière véritable qui traverse l’Europe est celle, aujourd’hui, qui sépare les progressistes des nationalistes. » Comme dans un Jugement dernier laïque, Emmanuel Macron sépare les bons et les mauvais. Les bons qui incarnent le progrès et l’ouverture et peuvent aspirer à un paradis européen ; et les méchants qui ne sont que haine et repli, enfermés dans l’enfer des nations. Et comme au jour de la Parousie, il faudra choisir son camp. Pas d’entre-deux possible. Précisons que sur le plan électoral, cette Parousie est fixée au printemps 2019, dans moins d’un an. C’est dire s’il y a urgence pour Emmanuel Macron à convaincre les Français de choisir la bonne voie. Surtout au moment où les « peurs » et les « colères » qu’il diagnostique lui-même ne cessent de progresser.

Ce combat-là n’est pas nouveau pour le chef de l’État. Ce clivage entre « progressistes » et « nationalistes » – entre « européistes » et « souverainistes », diront d’autres –, Marine Le Pen et lui l’avaient théorisé en même temps qu’ils en avaient profité en 2017. Espérant en faire l’un et l’autre le nouvel et exclusif clivage de la vie politique française. Le discours de Versailles s’inscrit donc dans le droit fil de toute la pensée et de tous les discours macroniens.

Mais incontestablement, le chef de l’État durcit le ton. En dramatisant. Et en simplifiant l’alternative offerte aux citoyens. Dans l’enceinte du Congrès, sur la question européenne, il a été davantage dans l’incantation que dans l’explication, dans la stigmatisation que dans l’argumentation, dans l’affirmation tranchée que dans la « pensée complexe ». Lui qui s’est légitimement indigné du mot « axe » choisi par les ministres de l’Intérieur allemand, italien et autrichien pour désigner leur concertation n’hésite pas à parler de « déportation » pour qualifier les solutions de renvoi dans les pays de première arrivée.

Le choc des mots a pour objectif délibéré de dramatiser l’enjeu. Mais cette montée verbale aux extrêmes est périlleuse pour Macron lui-même. D’abord parce qu’il n’offre aucune place pour un nuancier de positions sur l’Europe. Il faut être à fond pour ou à fond contre. Or entre ceux, devenus archiminoritaires, qui ne doutent pas de l’Europe et ceux, minoritaires aussi mais plus nombreux qui n’en veulent plus du tout, il y a la majorité de ceux qui sont déçus, inquiets, sceptiques, admettent l’Europe mais veulent sa transformation radicale. Certes, Macron est le premier conscient de la nécessité de réformer l’Union, et il ne ménage pas ses efforts pour cela. Mais en fustigeant à ce point les « populismes », il néglige ce constat si sensé de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine : « Le populisme, c’est l’échec des élites. » Élites dont le chef de l’État est pour beaucoup l’incarnation. Macron, en cherchant à imposer ce combat binaire entre progressistes et populistes, risque donc d’attiser ces « peurs » et ces « colères » auxquelles il prétend pourtant répondre. Et il y a fort à parier que diaboliser les nationalistes ne suffira pas à faire aimer l’Europe. Au contraire."


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