Revue de presse

"En Turquie, le port du voile islamique gagne du terrain dans la sphère publique" (Le Monde, 20 mars 13)

23 mars 2013

"La diffusion non autorisée d’une photo d’hôtesses de l’air sur la messagerie Twitter, début février, a provoqué quelques turbulences chez Turkish Airlines. Sur l’image, un équipage modèle arborait des costumes de bord dessinés à la mode conservatrice, chemises ras du cou, robes amples, avec parfois, sur les cheveux un couvre-chef inspiré du fez ottoman.

Moqueries et inquiétudes ont fusé sur la Toile et dans les médias nationaux. La compagnie turque s’est empressée de préciser que des versions "plus modernes" étaient à l’étude et que le nouvel uniforme n’était pas encore défini.

Mais les laïcs qui reprochent au parti islamo-conservateur au pouvoir, l’AKP (Parti de la justice et du développement), de "transformer le mode de vie des Turcs" voient cette tentative comme une nouvelle preuve que leurs inquiétudes étaient justifiées.

Les boissons alcoolisées ont déjà été supprimées de certains vols et les hôtesses au sol sont autorisées depuis quelques mois à porter le voile islamique. Le hijab strict à la mode turque est le symbole de la diffusion des moeurs conservatrices dans la sphère publique.

Après quelques années de prudence sur la question, ce qui lui avait été vivement reproché par les milieux les plus conservateurs à la fin de son premier mandat, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan lève, un à un, tous les obstacles légaux qui restreignaient la visibilité de ce signe religieux.

Le Conseil d’Etat a abrogé, en janvier, une règle qui prévoyait que le port du voile était interdit dans les palais de justice. Quelques jours plus tard, le petit tribunal de Kadiköy, à Istanbul, a connu une première.

L’avocate Sule Dagli Gökkiliç est venue plaider coiffée de son foulard. "J’étais nerveuse. Le juge m’a demandé : "Vous allez entrer à l’audience comme ça ?" Je lui ai rappelé la décision du Conseil d’Etat", raconte-t-elle. Le magistrat a déposé un recours. Le ministre du travail, Faruk Çelik, a également plaidé pour la suppression de toutes les restrictions appliquées dans la fonction publique au nom de la laïcité. "L’interdiction de porter le voile n’est compatible ni avec les droits de l’homme ni avec les principes démocratiques", a-t-il affirmé.

Une large campagne de "libéralisation" a été lancée par le syndicat de fonctionnaires Memur-Sen, proche de l’AKP. Leur pétition, qui a rassemblé 12,3 millions de signatures, dont celle de M. Erdogan, a été déposée, le 9 mars, sur le bureau du ministre Faruk Çelik.

"Une interdiction qui n’est pas dans la Constitution ne peut pas être protégée par la Constitution", a lancé le premier ministre turc, qui considère cette règle comme "l’héritage du coup d’Etat militaire du 28 février 1997" et "une atteinte aux droits de l’homme". Fort de son soutien électoral sur le sujet, le gouvernement s’apprête à légiférer pour autoriser le port du voile dans la fonction publique.

Une certaine tolérance s’est déjà installée dans les hôpitaux et une directive a été envoyée aux universités, priées d’admettre les étudiantes avec leur foulard dès 2010. Le ministre des sports Ömer Çelik souhaite une plus grande souplesse pour les sportives.

Dans les lycées religieux, dont le nombre a augmenté ces dernières années, les enseignantes peuvent le porter, mais aussi les élèves. Ce n’est pas encore le cas dans les écoles généralistes ou dans le secteur privé, où la décision est du ressort de chaque entreprise.

Cette visibilité n’allait pas de soi lorsque l’AKP est arrivé au pouvoir en 2002. M. Erdogan avait préféré envoyer ses filles étudier aux Etats-Unis pour échapper à l’interdiction. Les institutions turques faisaient encore rempart contre la remise en question des principes laïcs instaurés par Atatürk en 1924 et durcis par les régimes militaires successifs.

En 2007, le foulard de Hayrunnisa Gül a failli empêcher son mari, Abdullah Gül, d’accéder à la présidence de la République. Pour les généraux qui ont longtemps boycotté les réceptions officielles au palais de Cankaya pour éviter d’y croiser les épouses voilées des responsables politiques, une ligne rouge a été franchie.

L’armée se percevait comme un bastion laïc face "aux assauts des islamistes". Depuis, elle a été "décimée" par les procédures judiciaires lancées pour "complot". Des dizaines d’officiers sont en prison et les auteurs du coup d’Etat de velours de 1997 ont été convoqués devant les juges. Le tissu satiné qui recouvre les cheveux de Mme Gül ne l’oblige plus à s’exclure du protocole comme par le passé. Elle participe aux visites à l’étranger de son mari, reçu par exemple par le roi de Suède il y a quelques jours, et prend part aux cérémonies officielles.

Et, depuis la dernière réception donnée au palais présidentiel pour la fête nationale du 29 octobre 2012, les militaires s’accommodent des tenues de la première dame turque."

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