Revue de presse

D. Schnapper : « Pendant quinze ans, on a refusé de regarder en face la montée de la pression islamiste à l’école » (Le Figaro, 19 oct. 20)

Dominique Schnapper, présidente du Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale. 9 novembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"DEPUIS TRENTE ANS, Dominique Schnapper s’interroge sur l’état de notre démocratie. Première sociologue à avoir été nommée au Conseil constitutionnel, de 2001 à 2010, elle a dénoncé le « scientisme » et la « politisation » de ses collègues de la discipline, ainsi que leurs a priori idéologiques sur des sujets comme le racisme, l’antisémitisme, l’islam. Depuis 2018, la fille de Raymond Aron préside le Conseil des sages de la laïcité, mis en place par Jean-Michel Blanquer. Elle salue un ministre de l’Éducation qui, enfin, ne met plus « la poussière sous le tapis ».

Propos recueillis par Caroline Beyer.

LE FIGARO. - Un professeur décapité après un cours sur la liberté d’expression… Que nous dit cet événement de notre société et de notre école ?

Dominique SCHNAPPER. - Ce drame met tragiquement en lumière ce que nous savons depuis 2002, avec la parution de l’ouvrage collectif Les Territoires perdus de la République (faisant état de l’antisémitisme, du racisme et du sexisme à l’œuvre en milieu scolaire, particulièrement chez les jeunes d’origine maghrébine, NDLR). En 2006, lorsque le rapport Obin a été publié (l’inspecteur tirait la sonnette d’alarme sur les atteintes à la laïcité à l’école, NDLR), nous avons été une vingtaine d’intellectuels à le commenter, en posant la question : « Doit-on entonner un requiem pour l’école laïque ? » [1] Personne n’en a parlé. Pendant quinze ans, les ministres de l’Éducation successifs ont refusé de regarder en face les atteintes à la laïcité et la montée de la pression islamiste à l’école. Ils ont mis le rapport Obin dans leurs tiroirs pour ne pas faire de vagues. Les échelons inférieurs, dans les académies, ont suivi. Jean-Michel Blanquer a eu le grand mérite de ne pas mettre « la poussière sous le tapis ». Il a mis en place le Conseil des sages, que je préside, ainsi que des équipes de référents laïcité, chargés d’intervenir sur le terrain pour accompagner les chefs d’établissements et les enseignants. Récemment, les ouvrages de Gilles Keppel, de Bernard Rougier et d’Hugo Micheron ont fini d’ébranler l’attentisme de rigueur. C’est tardif. Avant l’assassinat de ce professeur, jamais l’école n’avait connu une attaque d’une telle violence. Mais il y a déjà eu l’affaire de la jeune Mila, placée sous protection judiciaire après avoir critiqué l’islam sur les réseaux sociaux. Des personnes comme Philippe Val ou Caroline Fourest, qui dénoncent la menace islamiste - un projet politique et non pas religieux -, doivent aussi être mises sous protection policière. Cela traduit un délabrement de la société républicaine.

Un récent rapport de l’inspection de l’Éducation nationale pointe, une fois de plus, les accommodements de certains enseignants avec la laïcité et une forme d’autocensure… Que faire contre cela ?

Il y a ceux qui ne veulent pas savoir, ceux qui sont lâches et ceux qui ne se sentent pas soutenus. Au Conseil des Sages, nous faisons de notre mieux pour les armer intellectuellement. Certains se sentent désarmés face aux énormités politiques et historiques, ainsi qu’aux croyances que certains élèves et parents leur opposent. Nous avons contribué, avec les services du ministère, à publier, à destination des enseignants, deux vade-mecum, l’un sur la laïcité, l’autre pour la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, qui rappellent les fondements juridiques et philosophiques de la laïcité. Nous sommes dans une société libérale. Nous ne pouvons lutter que par les armes de la raison et du droit. C’est un combat à mener auprès des élèves, mais aussi des parents d’élèves, des jeunes enseignants et de l’ensemble de la communauté éducative. Ensuite, il est clair que l’appel à la raison n’a pas l’efficacité qu’on pourrait souhaiter sur des individus dévoyés par les passions idéologiques.

Le drame de vendredi met justement en lumière le rôle de certains parents d’élèves…

Il arrive depuis quelque temps que des petits garçons refusent de s’asseoir à côté de petites filles à l’école maternelle… La remise en cause du modèle républicain et laïc commence tôt. Elle est évidemment le fait de certains parents. Nous avons déjà alerté là-dessus. Le drame qui s’est produit vendredi montre que des parents ont contribué à faire monter la pression, appuyés par des avocats spécialistes de la question. C’est une minorité très faible mais très active. Le sens politique n’est pas proportionnel aux chiffres.

Le professeur avait donné un cours sur la liberté d’expression, en se basant sur des caricatures du prophète. Il a alors été question de blasphème. Samedi, le ministre de l’Éducation a même dû préciser qu’un enseignant avait « le droit » de montrer de telles caricatures… Que vous évoque ce nécessaire rappel ?

Il faut apparemment rappeler qu’il n’y a pas de blasphème dans la loi française. Ces caricatures sont des documents historiques sur lesquels on peut réfléchir à l’école. Ce qui est encore plus tragique dans cet événement, c’est que ce professeur a fait ce qu’il devait faire : débattre autour de la liberté d’expression, en illustrant son propos par des exemples. Il avait apparemment pris le soin de respecter la sensibilité de chacun, en laissant la possibilité aux élèves susceptibles d’être choqués de sortir. Il n’y avait aucune « provocation »…"

Lire « Pendant quinze ans, on a refusé de regarder en face la montée de la pression islamiste à l’école ».



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