Laurent Joffrin, journaliste et ecrivain, ancien directeur du "Nouvel Observateur" et de "Liberation". 7 mai 2023
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"[...] Dans un théâtre de la périphérie parisienne, on monte Roméo et Juliette. La mise en scène est contemporaine, la jeune troupe répète dans la ferveur, le spectacle prend forme. Mais quand on arrive à la scène XVII écrite par Shakespeare, la controverse éclate.
Frère Laurent, le mentor des deux amants, donne à Juliette une potion qui la fera passer pour morte et lui permettra, revenue parmi les vivants au soir des obsèques, de s’enfuir avec Roméo. « Et ainsi, ajoute l’obligeant moine, « tu seras sauvée d’un déshonneur imminent, — si nul caprice futile, nulle frayeur féminine — n’abat ton courage au moment de l’exécution. »
Aussitôt, la répétition s’arrête. Lisant cette phrase, les jeunes acteurs et actrices la jugent impossible à dire sur scène. Les mots « caprice futile » et « frayeur féminine » véhiculent d’insupportables clichés patriarcaux. Quoique moderniste en diable, le metteur en scène tombe des nues. « C’est le texte de Shakespeare, se récrie-t-il, nous ne pouvons pas le censurer ! ».
Peu importe, lui répond-on en substance, nous ne serons pas complices ! Âpre, passionnée, la discussion se prolonge durant des heures. Le metteur en scène plaide le respect du texte et l’anachronisme de la correction demandée. Il souligne la modernité du personnage de Juliette : victime des préjugés de son époque, l’héroïne réussit à s’en libérer pour s’unir à son amoureux (même si l’affaire tourne mal).
Quant à la « frayeur féminine », elle la surmonte de toute évidence en avalant la potion sans hésitation : Juliette, au vrai, est une rebelle. Rien n’y fait, on ne jouera pas ce texte, serait-il du plus grand dramaturge de l’histoire. De guerre lasse, le metteur en scène coupe la phrase incriminée et tout rentre dans l’ordre (nouveau). [...]"
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