5 août 2015
"Le premier édifice du genre érigé en France au XXIe siècle sera inauguré en septembre, dans le Val-de-Marne. Certains estiment que la mosquée ouverte en 2008 dans la ville a précipité le chantier.
[...]. Au terme de deux ans et demi de travaux, le chantier de la première cathédrale du XXIe siècle en France se termine. Un paradoxe, a priori, au moment où les églises se vident. Situé à deux pas de l’université, dans un quartier où classes moyennes et populaires se côtoient plutôt paisiblement, l’édifice se voit mais ne s’impose pas. « C’est un peu comme si la cathédrale était venue se nicher ici par hasard », explique Alain Bretagnolle d’Architecture Studio, un prestigieux cabinet connu pour sa réalisation, à Paris, de Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance, édifiée dans le XVe arrondissement à la fin des années 90. Sollicité par l’association diocésaine, la propriétaire du lieu, Architecture Studio a élaboré un projet qui a tout de suite été avalisé.
Accélérateur. Parmi les fidèles, bousculés dans leurs habitudes, quelques doutes subsistent.« C’est un peu intrigant, nous verrons à l’usage », avoue une catholique. De son appartement, au treizième étage de l’une des tours, elle a suivi l’évolution des travaux. « Il y a eu des débats, poursuit-elle. Pourquoi, par exemple, a-t-on détruit une église qui avait à peine trente-cinq ans ? » Pour déployer le nouvel édifice, l’église paroissiale (faisant fonction de cathédrale) a en effet été rasée en partie. Certains fidèles estiment que le diocèse avait peut-être d’autres priorités financières. Quoi qu’il en soit, le coût demeure relativement modeste - 9 millions d’euros au total - pour l’édifice cultuel et l’équipement culturel (deux auditoriums et une galerie d’expositions).
Comme pour la mosquée, la municipalité de Créteil a soutenu le projet. Elle a même versé une subvention d’un million d’euros, soit la moitié du coût de la partie culturelle. Le conseil général a lui aussi contribué, à hauteur de 400 000 euros. Mais conformément aux exigences de la loi de 1905, la construction de la cathédrale elle-même a été financée par des dons et les fonds propres du diocèse. Un million d’euros sont ainsi venus des Chantiers du cardinal, une association liée au diocèse de Paris qui finance depuis quatre-vingts ans les constructions (et maintenant les rénovations) d’églises dans la capitale et en région parisienne.
Pourquoi, cependant, construire une telle cathédrale alors que le catholicisme est en perte de vitesse ? « Nous avions besoin d’un lieu identifié et assez grand pour accueillir tous les fidèles », explique l’évêque de Créteil, Michel Santier, également promoteur du projet. Les responsables catholiques, eux, démentent toute volonté de contrer l’avancée (supposée) de l’islam ou le retour d’un prosélytisme débridé. « Il n’y a pas de concurrence », martèle-t-il.« Ce n’est pas le combat des chefs », affirme pour sa part Bruno Keller, le directeur des Chantiers du cardinal. Reste que l’inauguration de la grande mosquée de Créteil, en 2008, a donné un sérieux coup d’accélérateur au projet de cathédrale. Et sans être avouée, la peur de disparaître au profit de l’islam existe.
Enfouissement. En perte de vitesse, devenue minorité parmi d’autres, le catholicisme français se cherche en effet une nouvelle identité et une visibilité. Une posture qui rompt avec celle des années 70, l’époque de la théologie de l’« enfouissement », où il fallait être discret pour évangéliser. A Créteil, le diocèse avait alors refusé une proposition de la municipalité d’édifier une cathédrale sur les bords du lac. La page s’est tournée avec les pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI. Issu des milieux charismatiques qui ont porté le renouveau catholique dans les années 80, l’évêque de Créteil s’inscrit dans cette veine-là. Dans le cahier des charges de la nouvelle cathédrale, la volonté de visibilité figurait même explicitement. Bon gré mal gré, l’évêque Michel Santier en convient. Mais prudemment.
Le fait d’édifier une cathédrale (siège de l’évêque, il en existe une par diocèse) et de construire des églises constitue des choix stratégiques. Surtout en période de vaches maigres. Beaucoup de diocèses (à peu près une centaine en France) ont toutes les peines du monde à boucler leurs fins de mois. Et une poignée a même frôlé la faillite ces dernières années.
Débourser au bas mot 5 millions d’euros pour un nouveau lieu de culte représente un véritable engagement. Responsable du suivi du projet de la cathédrale de Créteil, Marie-Pierre Etienney confirme qu’il n’a pas été aisé de susciter les dons. « Nous n’avons pas totalement atteint notre objectif de 3 millions d’euros, dit-elle. Il nous manque encore 400 000 euros. Nous espérions mobiliser davantage le mécénat d’entreprises. »
En fait, l’Eglise n’a pas tellement le choix, à moins de se résoudre à disparaître d’une partie du paysage. En milieu rural et dans les centres-ville, le suréquipement en lieux de culte catholiques est patent. Faute de fidèles, une grande partie d’entre eux sont quasiment désertés. Des gouffres financiers pour les collectivités locales qui ont la charge des édifices construits avant 1905.
Indigence. C’est ce qui a d’ailleurs suscité, au début de l’été, la polémique entre le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, et des courants de la droite identitaire soutenus par une poignée d’intellectuels qui ont signé (au côté de Nicolas Sarkozy) une pétition dans Valeurs actuelles. Pétition qui s’inquiétait - à tort - de la transformation des églises en mosquées. A l’avenir, le dossier risque pourtant de devenir explosif. « Il faudra bien ouvrir le débat sur l’entretien de ce patrimoine », estime Bruno Keller. Devant l’indigence des finances locales, il plaide pour des partenariats public-privé.
Mais comme le protestantisme ou le judaïsme, l’Eglise se trouve, en revanche, démunie à d’autres endroits du territoire. « Dans les nouveaux bassins de population, il y a un vrai manque d’édifices cultuels catholiques »,déplore le directeur des Chantiers du cardinal. Le catholicisme y concentre donc ses efforts. En Ile-de-France, Saint-Paul-de-la-Plaine, l’une des deux églises achevées et inaugurées l’année dernière, se situe près du Stade de France. Une zone rénovée aux portes de Paris et en pleine mutation grâce à l’arrivée d’entreprises et de nouvelles populations.
En septembre, outre la cathédrale de Créteil, un centre catholique sera aussi inauguré dans la nouvelle zone d’aménagement concerté (ZAC) des Batignolles (XVIIe arrondissement de Paris), un projet auquel le cardinal-archevêque de la capitale, André Vingt-Trois, est très attaché. Au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitations, en face du square Martin-Luther-King, le lieu comprend une chapelle et des locaux d’accueil. La priorité est de s’adresser aux jeunes et aux familles à travers ce que l’on pourrait appeler une version renouvelée du patronage.
Tensions. Dans les années à venir, le principal chantier de l’association s’ouvrira sur le plateau de Saclay, dans l’Essonne, la future Silicon Valley française. Un centre spirituel et une résidence étudiante internationale y verront le jour. « Pour le moment, nous sommes en train de prospecter pour choisir le terrain », explique Bruno Keller.
L’inauguration de la cathédrale de Créteil devrait avoir lieu le 20 septembre en présence, très probablement, du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, également chargé des Cultes. Dans un contexte de tensions et de menaces terroristes, la République ménage ses liens avec le catholicisme, tout comme avec l’islam modéré. L’occasion, également, de plaider le vivre-ensemble entre les différentes religions. Les communautés juive et musulmane ont d’ailleurs chacune versé un don (modeste, mais bien réel, dit-on sans donner de chiffre) pour la construction du nouvel édifice. En 2008, l’évêque Michel Santier avait, lui aussi, assisté à l’inauguration de la grande mosquée."
Comité Laïcité République
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