Revue de presse

"Communautarisme : Malika Sorel décrit les coulisses des universités" (lefigaro.fr , 21 mai 14)

23 mai 2014

"L’essayiste Malika Sorel-Sutter réagit aux menaces de mort à caractère islamiste qui visent le directeur de l’IUT de Saint-Denis. Dès 2013, un rapport du HCI, enterré par l’Etat, alertait sur les dérives communautaristes dans les universités.

Malika Sorel-Sutter est ancien membre du collège du Haut Conseil à l’Intégration et de sa mission Laïcité. Elle est administrateur de l’association de Défense et de géopolitique Géostratégies 2000. Elle est notamment l’auteur d’Immigration, intégration : le langage de vérité. Fayard/Mille et une nuits, 2011.

Le directeur de l’IUT de Saint-Denis a été visé par des menaces de mort à caractère islamiste. Dans un rapport rédigé en 2013, le HCI dénonçait la montée du communautarisme dans les universités. Cette affaire vous donne-t-elle raison ? S’agit-il d’un cas isolé ou est-il emblématique de certaines dérives ?

Malika Sorel-Sutter. Oui, cette affaire donne pleinement raison au Haut Conseil à l’Intégration ainsi qu’à sa mission laïcité. La situation de notre enseignement supérieur est très préoccupante. Nous n’avons cessé de tirer la sonnette d’alarme aussi bien auprès de la majorité actuelle que de la précédente. Les difficultés rencontrées ne sont pas récentes, et elles se sont amplifiées au fil du temps. En 2004, la Conférence des Présidents d’Universités avait déjà été saisie d’un grand nombre de problèmes, à telle enseigne qu’elle s’était même appliquée à élaborer un « guide laïcité et enseignement supérieur » pour aider le personnel sur le terrain.

Lors de nos travaux, nous avons été stupéfaits de constater que ces problèmes pouvaient se poser partout, y compris dans les classes préparatoires à nos grandes écoles où des jeunes hommes refusaient de passer l’oral avec un professeur femme et où l’étude de la pensée de philosophes tels que Voltaire ou Thomas d’Aquin pouvait être refusée par certains élèves.

Dans certaines universités des tapis de prière étaient sortis en plein cours, et dans d’autres des élèves imposaient que la pause coïncide avec la rupture de leur jeûne lors du mois de Ramadan. Beaucoup d’autres situations sont décrites dans notre rapport au sujet, par exemple, de l’affectation de moyens matériels aux associations d’étudiants qui peuvent parfois conduire à des dérives communautaristes, aux phénomènes de prosélytisme ou encore au voile.

Cette affaire de l’IUT de Saint-Denis doit être l’occasion d’ouvrir la voie à de larges enquêtes, y compris administratives, sur la réalité de ce qui se passe sur le terrain et aussi sur un point important que nous avons constaté lors de nos travaux, à savoir que dans certains établissements la direction est encline à cacher la vérité, voire à la travestir, plutôt que de venir en aide aux enseignants ou aux personnels administratifs lorsque ceux-ci osent aborder les problèmes qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs fonctions. Il faut trouver le moyen de placer cette hiérarchie face à ses responsabilités.

Qu’est-il advenu du rapport du HCI ? Celui-ci a-t-il été enterré ? Si oui, Pourquoi ?

Comme l’avait souhaité Michel Rocard, alors Premier ministre, à sa création en 1989, le HCI dépend de Matignon. Les rapports du HCI sont publiés à la Documentation française. Mais pour celui qui traitait de la laïcité dans l’enseignement supérieur, nous n’avons pas pu obtenir de feu vert.

Pour vous donner une idée de ce que représente cette décision de non-publication, je souhaiterais faire le parallèle avec le rapport « La grande nation : pour une société inclusive » qui a, lui, été publié par la Documentation française. Son auteur est devenu Président de Sorbonne Universités tandis que le HCI a été mis hors d’état de soutenir la République et ses principes. Ont également été publiés à la Documentation française les rapports qui avaient, à juste titre, déclenché un véritable tollé dès leur mise en ligne sur le site du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Je renvoie ici le lecteur à la lecture des articles du Figaro qui évoquaient le contenu, à certains égards stupéfiant, de ces rapports sur l’intégration.

Oui, le rapport de la mission laïcité a été enterré et la mission laïcité a été remplacée par l’Observatoire de la laïcité présidé par Jean-Louis Bianco, selon lequel « la France n’a pas de problème avec sa laïcité ». C’est donc pour traiter de l’inexistence de ces problèmes que Jean-Louis Bianco a récemment décidé de n’y consacrer, toujours selon ses dires, qu’un seul jour par semaine, pour pouvoir rejoindre la nouvelle ministre de l’écologie Ségolène Royal en tant que conseiller spécial.

Afin que vos lecteurs ne se méprennent pas sur mon propos, je rappellerai ici que j’ai toujours exercé l’ensemble de mes différentes missions au sein du HCI de manière bénévole. Cette mise au point étant faite, je souhaiterais saisir l’occasion que vous me donnez pour dire que notre mission laïcité n’a pas renoncé à défendre la laïcité et que notre rapport sera publié chez Le Publieur à la fin de ce mois-ci sous le titre « Faire vivre la laïcité » [1].

Pour comprendre pourquoi notre rapport a été enterré, il faut remonter un peu dans le temps. En août 2013, la mission laïcité du HCI voit ses travaux sur la laïcité dans l’enseignement supérieur fuiter sur le site du journal Le Monde. Leur publication était programmée pour septembre. On assiste alors aussitôt à la montée d’une grosse vague d’indignation et le HCI reçoit une volée de bois vert de la part, entre autres, d’élites du monde politique, universitaire et médiatique. Manuel Valls, qui est le ministre de l’intérieur de l’époque, apporte quant à lui immédiatement un soutien appuyé à notre travail.

Par contre, la position de la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, est tout autre. Elle déclare qu’« aucune université n’a saisi le ministère à ce sujet : c’est donc que ça ne pose pas de problème. Qu’on n’invente pas des problèmes là où il n’y en a pas. » Plusieurs présidents d’université appuient la prise de position de la ministre. Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université, déclare qu’« on ne traite pas un non-problème par une loi » et que le rapport du HCI est « déconnecté des réalités ».

Or il se trouve que Jean-Loup Salzmann est justement le président de l’université dont relève l’IUT de Saint-Denis. Le réel finit toujours par s’imposer, ce n’est jamais qu’une question de temps.

Dans le cadre de l’élaboration de notre rapport, nous avions auditionné Jean-Loup Salzmann et j’étais présente à cette audition. De même, je me souviens très bien d’un autre président d’université, cette fois-ci parisienne, qui n’avait pas ménagé sa peine pour abonder dans le sens de la ministre Geneviève Fioraso. Mais tandis qu’il s’exprimait dans les médias, affirmant qu’il n’avait jamais eu connaissance d’un quelconque problème de respect de laïcité au sein de son propre établissement, j’avais sous les yeux un document signé de lui dans lequel il abordait les problèmes de laïcité qui se posaient chez lui et qui préoccupaient ses services. Il mentait donc « les yeux dans les yeux ». [...]

Les dérives communautaristes sont-elles sous-estimées par le gouvernement actuel ?

C’est bien plus grave que cela. Sous-estimer une situation sous-entend que l’on a déjà franchi un seuil et que l’on a accepté de la regarder en face. Or, nous sommes confrontés à un refus de voir la réalité telle qu’elle est. Vous savez ce que disait Charles Péguy à propos de l’indispensable lucidité ? « il faut accepter, non seulement de dire ce que l’on voit, mais aussi de voir ce que l’on voit, surtout lorsque ce que l’on voit ne s’accorde pas à notre vision du monde. » La cécité volontaire d’une part de nos élites n’est pas le seul fait de la majorité actuelle. Cela fait plus de trente ans que cela dure, et cette cécité se joue des frontières de nos partis politiques. Elle frappe à l’aveugle.

Cela fait des années que j’observe de près ce qui se passe au sein du monde politique. Si nos élites avaient voulu agir, elles l’auraient pu. Elle ont beaucoup parlé des principes républicains mais ont très peu agi. Parfois, elles ont même agi à rebours de l’intérêt supérieur de la cohésion nationale. Ce sont alors autant de signes qui ont été interprétés comme un drapeau baissé, ou comme une invitation à fouler encore plus au pied la France et sa République. Il y a désormais urgence à agir.

Au lieu d’assister à des matches d’improvisation théâtrale, François Hollande, dans sa fonction de Président de la République garant du respect des principes constitutionnels, aurait davantage sa place aux côtés de la crèche Baby Loup qui est confrontée à une crise financière telle qu’elle fait désormais planer sur elle la menace du dépôt de bilan. Le tort de Baby Loup ? Avoir demandé le respect de la laïcité à ses employés. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, le sénateur-maire socialiste Philippe Esnol, qui avait su si bien soutenir Baby Loup, n’est plus aujourd’hui maire de Conflans-Sainte-Honorine. La nouvelle majorité municipale tarde à mettre ses pas dans les siens, et le Conseil Général connaît lui aussi quelques lenteurs.

Baby Loup a lancé un appel aux dons et les citoyens peuvent voler à son secours. C’est une évidence, Baby Loup dérange, tout comme la laïcité dérange de plus en plus en France. Où que je regarde, l’heure semble être à la résignation et à la capitulation.

Que préconisez-vous pour y remédier ?

Les citoyens, d’où qu’ils viennent, ne doivent plus accepter que leurs élites politiques s’affranchissent de leurs obligations de respecter et faire respecter les principes républicains. Le plus important de ces principes est la laïcité, car elle joue le rôle d’une véritable digue. Sans elle, la société française finira par vivre ce que la société algérienne a vécu au tournant des années quatre-vingt-dix. J’ai fait une partie de mes études en Algérie. Beaucoup des signes que j’ai pu observer là-bas, je les observe à présent ici.

Le propos de mon dernier livre était justement de proposer un certain nombre de recommandations politiques. La première des urgences, c’est d’accepter de mettre enfin en œuvre ce que Georges Marchais préconisait dès janvier 1981 : « il faut stopper l’immigration officielle et clandestine », disait-il, et les raisons qu’il en donnait n’ont pas pris une ride. L’importance des flux migratoires dans le contexte international que nous connaissons a conduit au réenracinement culturel des enfants de l’immigration, les coupant peu à peu de l’intégration et éloignant de ce fait la perspective d’une coexistence sereine sur la durée."

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