Revue de presse

Charb : "Plutôt un rap violent qu’un sociologue démago" (liberation.fr , 22 déc. 13)

23 décembre 2013

"Charlie Hebdo ne comprendrait rien au rap des cités. La preuve ? Lorsque Nekfeu « réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo » dans un rap collectif écrit pour le film la Marche, Charlie Hebdo souligne le décalage entre le propos du rappeur et l’esprit qui animait la Marche pour l’égalité de 1983. Comment peut-on illustrer un film clairement antiraciste en chantant l’incendie d’un journal satirique engagé depuis toujours dans cette lutte ? Quel rapport entre la lutte contre le racisme et l’appel religieux à cramer un journal (déjà cramé) de dessins considéré comme blasphématoire à la fois par l’extrême droite catholique et Al-Qaeda ?

[...] Charlie Hebdo [...] s’insurge régulièrement contre le sort que les politiques réservent aux banlieues. Les cités abandonnées de la République, nous y sommes allés en reportage - Montfermeil, Chanteloup-les-Vignes, Grigny, etc. Certains d’entre nous en viennent, d’autres y sont encore. Mais, si j’ai bien compris, on n’a pas le droit de déplorer que des citoyens abandonnés par tous les gouvernements successifs trouvent refuge dans un islam folklorique et réactionnaire. On n’a pas le droit parce que ces gens souffrent. [...]

En quoi avons-nous mis en cause la liberté d’expression des rappeurs ? Nous répondons librement à leurs propos libres. Il n’a pas été question une seconde de les poursuivre en justice ou de leur péter les genoux. Et lorsque certains sont poursuivis, ici ou en Tunisie, nous les soutenons par principe. Un doctorant en sociologie n’est pas obligé de connaître Charlie Hebdo, mais, s’il en parle, ce serait bien qu’il le lise un minimum. Nos archives lui sont ouvertes. Ainsi que mon bulletin de salaire de directeur de la publication, puisqu’il estime que je dois gagner bien plus qu’un rappeur comme Nekfeu ou Disiz la Peste, que j’ai imprudemment traités de branleurs millionnaires…

[...] Ce qui nous a fait réagir, cette fois, c’est le fait que des imbéciles [...] instrumentalisent l’antiracisme issu d’un mouvement populaire pour faire, sciemment ou non, la promotion d’une version particulièrement débile de l’islam. Si l’islam, qui réclame des autodafés, est devenu le doudou des gamins écorchés vifs des cités, n’est-il pas temps de les secouer et de leur faire prendre conscience que ce n’est pas cette vision de la religion qui améliorera leur situation ? Le boulot d’un sociologue consiste peut-être à observer et à lâcher de temps en temps un « pauvre chouchou » en se tordant les doigts, celui d’un journal satirique est de se fendre la gueule devant tant de conneries.

Mais non ! Ils sont « hypersensibles » sur « la question de la religion » ! Un journal satirique peut caricaturer qui il veut, mais pas des gens hypersensibles de cette sorte. Des gens hypersensibles issus du peuple. Les gens du peuple sont trop bêtes pour comprendre l’humour, la caricature, le second degré, la dérision ; ils sont trop susceptibles pour entendre la critique et débattre. [...]

En 1995, lorsque Charlie réclamait l’interdiction du FN, il y avait aussi des doctorants pour nous dire que le vote FN était l’expression d’une souffrance de la part de pauvres gens et qu’il ne fallait pas les fustiger… On continue à se foutre de la gueule des « pauvres gens » qui votent FN et on continuera parce qu’il nous semble plus insultant de prendre les gens pour des benêts qu’il faut protéger de toute émotion violente que pour des opposants politiques qu’il faut combattre."

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