Note de lecture

Chahdortt Djavann, enfermée sous un voile à 13 ans en Iran, le retrouve en France

par Pierre Biard. 4 octobre 2016

Chahdortt Djavann, Bas les voiles !, Gallimard, 2003 ; Folio, 2006, 80 p.

Par son ton vif, par des traits acérés, mordants, ce petit ouvrage tient du pamphlet. Il participe également du réquisitoire : charge vigoureuse contre des hommes enfermés dans des préjugés d’un autre âge, contre les tenants d’une religion totalitaire dont le voile pour les femmes est le symbole. Mais il ne se contente pas d’accuser : au-delà de la polémique, c’est aussi un appel passionné à toutes celles et à tous ceux qui souhaitent vivre en paix, sans remettre en cause les valeurs fondamentales de la France où ils vivent.

"J’ai porté dix ans le voile. C’était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle". Ainsi s’ouvre l’essai de cette écrivaine iranienne qui a fui son pays pour s’installer en France. Des propos qui frappent d’autant plus qu’ils sont brefs, concis, précis. L’Iran du Shah était loin du paradis rêvé, mais la "révolution", ou plus exactement le désastre historique de 1979 a imposé la terrible loi islamique à tous, et d’abord et surtout aux femmes. Chadhortt Djavann avait 13 ans lorsqu’elle fut condamnée à être enfermée sous un voile. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres , la variante chiite de l’islam ne le cède en rien en fanatisme à sa version majoritaire. De treize à vingt trois ans ; "je ne laisserai à personne dire que ce furent les plus belles années de ma vie". Par quelle aberration, obsession ou hantise, les mollahs en sont venus à imposer une mesure qui serait considérée ailleurs comme grotesque, si elle n’était ici tragique ?

La femme en pays musulman est fatalement soumise à l’homme. C’est pourquoi la mère voit un "profond malheur" dans la naissance d’une fille. Celle-ci sera, comme elle, considérée comme inférieure, et cette infériorité fait partie de sa nature, cela les femmes l’ont intégré depuis des générations dans leur subconscient. Chadhortt Djavan sait ce dont elle parle : le voile, pas le simple foulard mais le hijabe, le voile complet, qui couvre l’intégralité du corps, a pour fonction de dissimuler la honte d’être femme. Dès qu’elle atteindra une dizaine d’années, la fillette sera responsable du regard des hommes, car elle attirera nécessairement, et sans l’avoir recherché, la convoitise des mâles. Dans l’Iran de Khomeyni, on voilait souvent les filles à neuf ans, quand ce n’était pas plus tôt, parfois sept ans. C’était moins pour les protéger qu’afin d’éviter aux hommes de tomber dans le péché. Si une jeune fille se fait agresser, violenter, c’est sa famille qui en portera la responsabilité devant les tribunaux : elle n’a pas su reclure sa fille comme elle aurait dû, car peut-être l’enfant n’a t-elle pas su ou voulu s’abriter derrière le hijabe ? L’infériorité native des femmes n’est certes pas propre aux seuls pays d’islam, on la retrouve dans nombre d’autres civilisations. Mais elle s’aggrave quand la religion, et c’est le cas du judaïsme comme de l’islam, sacralise cette supposée infériorité. Et celle-ci se poursuit même après la mort : si les mères peuvent avoir accès au paradis d’Allah, ce ne semble pas être le cas des femmes sans enfant. D’autre part, si tout est prévu pour les hommes, essentiellement un plaisir fait de perpétuelles relations sexuelles, rien n’attend les femmes, sinon, peut être, la contemplation de leur conjoint dans l’acte de fornication avec des houris ?

Mais alors, s’interroge Chadhortt Djavann, pourquoi les hommes s’arcboutent-ils sur l’absurde obligation du voile ? Si ils adorent tant le voile, ironise t-elle, ils n’ont qu’à le porter eux-mêmes. C’est que la question n’est pas là. Elle réside dans un interdit, lointain héritier d’une société primitive : le corps de la femme est tabou pour tous ceux qui ne sont pas de sa proche famille. Son identité se fonde sur un sentiment de honte qui se manifeste par la pudeur. C’est un sentiment bien différent qui anime l’homme et assure la construction de son identité, ce sentiment pourrait se traduire en français par honneur. Il ne faut pas entendre par là une qualité morale, mais une manière d’exprimer sa virilité en signifiant que celle-ci ne saurait souffrir le moindre accroc à son exclusivité. L’homme musulman "construit son être et son identité dans la crainte permanente de la transgression féminine". C’est en ce sens que le voile, justifié par un sentiment de honte, et qui ne laisse passer aucune mèche de cheveux, aucun espace de peau, peut être dit garant de l’honneur masculin.

Ce que les hommes musulmans ne voient pas, ou plutôt ne veulent pas voir, c’est que le voile enferme les femmes, c’est qu’il représente une espèce de prison, une prison ambulante, d’autant plus humiliante qu’elle leur rappelle constamment leur infériorité, la honte d’être née femme. Celles qui, comme Chahdortt Djavann, ont fait des études, savent ce qui se passe à l’étranger, n’ont qu’un désir, s’en débarrasser. Chose impossible dans l’Iran des mollahs, sauf à s’enfuir. Ce qu’elle a réussi à faire. A son arrivée en France, elle a eu le sentiment de débarquer sur une autre planète. Mais son bonheur de vivre librement a été vite assombri lorsque, dans un contexte il est vrai fort différent, elle a retrouvé le voile, le foulard et même le voile intégral. Voile à l’école - il faudra attendre la loi de 2004 pour le voir disparaître -, dans la rue, dans les entreprises, dans les administrations, il lui a semblé le voir partout. Comment, dans le pays des droits de l’homme, des femmes peuvent -elles consentir à porter encore ce symbole de servitude ? Sans doute, reconnaît-elle, y a t-il des raisons que l’on peut comprendre, sinon admettre : sentiment de protection contre le harcèlement, si fréquent dans une grande ville, difficulté, au moins pour les plus âgées, de remettre en cause des traditions anciennes, obéissance inconditionnelle au mari, au père, au frère, position de repli devant les duretés du pays d’accueil, tentative pour dissimuler l’exclusion sociale, en clair la misère... Mais tout cela n’explique pas la revendication assumée de celle qui prétend porter le voile, au nom de sa liberté, de son "identité ", de sa "culture"- ce dernier terme désignant par euphémisme la religion. Outre l’inlassable antienne du "droit à la différence" - Chahdhortt Djavann a même entendu des ethnologues qui défendaient l’excision des filles au nom de la différence des cultures ! -, elle note l’attitude de certains Français et immigrés d’origine musulmane, chercheurs, sociologues, journalistes, politiques qui, par mauvaise conscience - nous les avons colonisés -, culture de l’excuse - nous les avons relégués dans des ghettos - intérêt électoral - ils voteront pour nous -, ont eu tendance à accepter, sinon à justifier des comportements problématiques. Ce faisant ils ont ouvert la voie à un dangereux relativisme dans lequel se sont engouffrés les tenants d’un islam sans concession. Après la révolution islamique en Iran, écrit-elle, "certains sociologues iraniens résidant en France, ont fabriqué de toute pièce la théorie du "voile comme moyen d’émancipation", en oubliant les femmes maltraitées, "jetées à terre, frappées dans les rues de Téhéran, parce qu’elles ne voulaient pas porter le voile". Elle ajoute qu’en se rapprochant les unes des autres, les religions ont favorisé la remise en cause de la laïcité par les musulmans : "Une bizarre odeur de sacristie œcuménique plane sur la pensée française depuis quelque temps" écrit-elle au début des années 2000.

Bien qu’il ait été rédigé il y a une quinzaine d’années, ce petit ouvrage n’a rien perdu de son actualité. Déjà son auteur avait constaté l’inquiétante progression de la visibilité de l’islam, le nombre croissant de femmes portant le foulard - l’affaire des trois collégiennes de Creil se place justement en 1989, année porteuse d’un fort symbole -, et parfois même le hijabe, les tergiversations des autorités politiques, leur manque de courage à faire appliquer les lois de la République. Sur le voile, Chahdortt Djavann conclut clairement et sans appel : "Quand je retrouve le souvenir et l’image des petites filles voilées des écoles iraniennes, quand je pense à celles qui, en France, sont utilisées, à leur corps défendant ou par l’effet d’une redoutable manipulation islamiste, pour servir d’emblèmes aux propagandistes de "l’identité par le voile", la tristesse le dispute en moi à la colère. Allons-nous enfin nous réveiller ?"

Pierre Biard



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