26 mai 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Laïcité, racialisme, indigénisme, « privilège blanc »… « Le Point » a décortiqué les déclarations et les écrits du nouveau ministre de l’Éducation nationale.
Par Clément Pétreault
[...] On a ainsi vu tourner en boucle ses déclarations au Monde en juin 2021 dans lesquelles il dit partager la plupart des causes des militants woke français, « comme le féminisme, la lutte pour la protection de l’environnement ou l’antiracisme »… Citation généralement amputée du passage dans lequel il désapprouvait « les discours moralisateurs ou sectaires de certains d’entre eux », se définissant finalement « plus cool que woke ».
Ni un identitaire ni un indigéniste
Pap Ndiaye se montre sensible à des thèmes et des méthodes directement inspirés de la sociologie américaine, c’est certain, mais il n’est ni un identitaire ni un indigéniste. Il lui est arrivé de débattre avec des militants décoloniaux énervés, certes, – y compris dans le cadre d’une réunion « en non-mixité racisée » –, mais ce serait lui faire un procès hâtif que de le considérer comme un militant, il est toujours resté un chercheur.
Enfin, si cet universitaire de 56 ans a développé au cours de sa carrière un certain nombre de positions dont on peut débattre – notamment sur les micro-agressions, le blackface ou le retrait du mot race dans la Constitution –, personne ne peut le soupçonner de vouloir briser les institutions, à l’inverse du camp indigéniste, qui rêve de voir sombrer la République.
« À la recherche d’une troisième voie »
Pap Ndiaye n’utilise pas les mots qui fâchent (refusant, par exemple, de parler de « privilège blanc » ou de « racisme d’État »), ne se rend pas ou très peu à des événements militants, limite ses interventions médiatiques à ses domaines de spécialité et évite soigneusement de se laisser enfermer dans des débats sur la laïcité, par exemple. Il fait partie de ceux qui sont persuadés que l’on peut trouver un compromis entre la ligne woke et la ligne républicaine : « Je suis un produit de l’école républicaine française et de l’affirmative action américaine [politique de quotas ethniques, NDLR] », confiait-il dans une interview dès 2009.
« Pap n’est ni un diviseur ni un provocateur, mais un conciliateur, un pacificateur. On le lui reprochera aussi, mais c’est son tempérament, sa manière de voir les choses », expliquait d’ailleurs au Point sa sœur, la romancière Marie NDiaye, peu après la cérémonie de passation. « Pap Ndiaye connaît bien le modèle américain, mais ce serait faux de dire qu’il cherche à l’importer ici. Il a conscience que le modèle américain et le modèle français sont en crise, il est à la recherche d’une troisième voie », souligne l’un de ses collaborateurs au musée de l’Histoire de l’immigration, qui estime que la personnalité du nouveau ministre de l’Éducation le rend par nature imperméable à la radicalité : « C’est un homme qui déteste le conflit, il est toujours à la recherche de consensus et se méfie beaucoup des milieux militants. »
Ses convictions sont profondes, mais il sait les habiller d’une certaine rondeur et il sait trouver les angles d’attaque les plus consensuels : « Il préférera parler de “promotion de la diversité”, plutôt que de “lutte contre les discriminations”, c’est moins clivant », résume son ex-collaborateur, inquiet de voir son ancien directeur « rejeté par tous les camps à force de vouloir mettre tout le monde d’accord ».
Une approche intersectionnelle des inégalités
Très influencé par son séjour aux États-Unis dans les années 1990, Pap Ndiaye est revenu en France équipé de tout l’attirail intellectuel de l’universitaire multiculturaliste à l’anglo-saxonne. En 2006, il participe à la rédaction de l’ouvrage collectif dirigé par Éric Fassin De la question sociale à la question raciale ?, texte fondateur qui marque le début de l’importation des catégories raciales dans la recherche française.
Dans le très documenté chapitre qu’il consacre à la progressive racialisation de l’identité française, il explique comment le développement de l’empire colonial a instauré une rupture avec « l’idéologie républicaine […] théoriquement indifférente aux couleurs de peau et aux autres caractéristiques physiques ». Il plaide pour une approche intersectionnelle des inégalités et déplore l’absence de statistiques ethniques pour y parvenir. « Gageons que des travaux futurs sur l’idéologie de la blancheur française comme constitutive de l’identité́ nationale, en relation avec des facteurs de genre, de classe et d’appartenance régionale, remettront en cause les idées reçues sur le fameux universalisme républicain », écrit-il alors. « Pap Ndiaye estime que ceux qui expérimentent les mêmes discriminations vont avoir tendance à se regrouper en communautés, analyse Damien Saverot, chercheur à l’ENS, spécialiste des mobilisations politiques en lien avec l’immigration postcoloniale. Pour lui, reconnaître ces communautés ne remet pas en cause le pacte républicain. »
Sur les questions républicaines justement, le nouveau ministre de l’Éducation devra gérer l’héritage de Jean-Michel Blanquer, qui avait fait de la laïcité un pilier de son action politique, en installant, notamment, un conseil des sages. Prudent, Pap Ndiaye s’est toujours abstenu de se prononcer publiquement sur les questions de laïcité. On le dit cependant proche du sociologue François Héran, grand pourfendeur de la « ligne laïque ultrarépublicaine » et partisan d’une laïcité plutôt accommodante avec les religions.
Cette laïcité (promue un temps par le duo Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène à la tête de l’Observatoire de la laïcité, dissoute en 2021) a été liquidée par Marlène Schiappa pendant le premier quinquennat. Il est probable, étant donné la nature de ses travaux universitaires, que le nouveau ministre de l’Éducation nationale soit plus en phase avec la ligne multiculturaliste. Pour autant, rien ne laisse croire qu’il aurait reçu pour mission de solder l’héritage Schiappa-Blanquer sur les questions de laïcité… « Pour nous, c’est quand même un coup dur. Mélenchon aurait gagné que ça ne ferait pas une grande différence », confie un des membres du conseil des sages de la laïcité de l’Éducation nationale, encore sonné par cette nomination, mais plutôt confiant sur l’idée d’un statu quo institutionnel.
Trop blanc pour certains, en somme…
Certaines figures de la gauche républicaine se montrent en revanche beaucoup plus inquiètes : « Pap Ndiaye n’est peut-être pas un indigéniste revendiqué, mais il pense comme les indigénistes, il l’a prouvé lorsqu’il s’est opposé au retrait du mot race de la Constitution, s’emporte Fatiha Agag-Boudjahlat, militante laïque et candidate à la députation en Haute-Garonne. Pour ces gens, la laïcité est une entreprise de réduction de la diversité, car elle passe par une réduction de la visibilité », analyse-t-elle.
L’ex-directeur du musée d’Histoire de l’immigration et conseiller scientifique du Cran (Conseil représentatif des associations noires) a été jugé beaucoup trop mesuré par les militants de la mouvance indigéniste, qui lui reprochent de ne pas suffisamment remettre en cause l’ordre républicain, de s’inscrire dans un cadre trop institutionnel, d’être trop consensuel, trop mou… Trop blanc en somme. « Ndiaye parle beaucoup de l’esclavage et du colonialisme, c’est vrai. Se risque-t-il cependant à contester vraiment la mythologie républicaine ? […] malgré quelques passages ambigus, il n’établit jamais de lien structurel entre la période actuelle et l’esclavage/colonisation. Plus : il ne cache pas sa défiance vis-à-vis d’une telle approche », regrettait le militant Sadri Khiari, cofondateur des Indigènes de la République, dans un texte au vitriol publié en janvier 2010 (élégamment intitulé : « Pap Ndiaye tire à blanc »).
L’auteur de cette injonction à la radicalité s’offusque de ce que Pap Ndiaye considère le lien entre colonialisme et racisme contemporain comme « un raccourci regrettable » produit par un milieu militant cédant aux évidences trompeuses. Le militant accable l’universitaire : Pap Ndiaye n’oserait pas « nommer la race », il se contorsionnerait pour employer « des mots qui n’incommodent pas trop les Blancs. […] Ce que Michael Jackson a tenté de faire avec son corps, Ndiaye essaie de le faire avec la notion de race », s’emporte l’ancien syndicaliste.
Mais il y a plus grave pour ce compagnon de route de Houria Bouteldjah : Pap Ndiaye ne se révèle ni antisémite ni même antisioniste. « Le Cran, l’association dont Ndiaye est un membre influent, ne cache plus ses relations avec le Crif, une corporation sioniste particulièrement impliquée dans la campagne islamophobe et le soutien aux politiques racistes menées par l’État français. Une telle stratégie est suicidaire pour la cause noire [et] risque de conduire [à] l’illusion d’une déracialisation qui s’interdirait de contester également l’ordre blanc républicain. » Certains reproches valent décidément tous les compliments…
Ce que Pap Ndiaye a réellement dit sur
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Pap Ndiaye (note du CLR).
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