Revue de presse

"Cathos intégristes contre recherche médicale : la guerre des embryons" (Charlie Hebdo, 12 oct. 22)

16 octobre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La Fondation Jérôme-Lejeune, tête de pont des anti-IVG, attaque systématiquement en justice les laboratoires qui font de la recherche médicale sur des embryons. Au nom d’une pseudo-défense de la vie, cette fondation, parée du statut « d’utilité publique », entrave les scientifiques dont les travaux servent précisément à sauver des vies humaines.

Antonio Fischetti

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Il y a des combats très médiatisés et d’autres qui le sont moins. Les soldats du foetus font la « une » avec leurs manifs antiavortement. Mais ils mènent des combats tout aussi féroces en catimini. C’est le cas des procès récurrents intentés par la Fondation Jérôme-­Lejeune à certains laboratoires.

Leurs bêtes noires sont les scientifiques qui mènent des recherches sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires. Ces recherches sont pourtant porteuses d’immenses espoirs, pour améliorer les fécondations in vitro, mais surtout pour développer des traitements contre un tas de maladies incurables.

Et donc, ces travaux s’effectuent à partir d’embryons. Pour cela, on prélève un ovule, on le fait féconder – in vitro – par un spermatozoïde. Cela donne d’abord un amas de « cellules souches embryonnaires ». Cet amas évolue ensuite en ­embryon. Les cellules souches embryonnaires ont la capacité de se multiplier à l’infini et de pouvoir engendrer tous les types de cellules de l’organisme : du foie, du coeur, du rein, du doigt de pied, de la lèvre, de l’œil, du testicule, etc. D’où un intérêt médical énorme. Pour la recherche scientifique, ces cellules souches embryonnaires sont prélevées entre le cinquième et le septième jour suivant la fécondation. Les embryons, eux, sont prélevés avant le quatorzième jour.

Au départ, ces embryons ne sont pas créés dans un but médical. On peut dire qu’ils sont des rescapés de la procréation médicalement assistée. Car lorsque des parents entament un processus de fécondation in vitro, il est parfois nécessaire d’implanter une vingtaine de préembryons dans l’utérus de la mère, dans l’espoir qu’il y en ait au moins un qui évolue avec succès. Comme le taux d’échec est très élevé, il faut beaucoup de candidats. Les ­embryons surnuméraires peuvent avoir deux destins : soit ils sont purement et simplement jetés à la poubelle, soit ils sont récupérés pour la recherche médicale (avec, évidemment, l’accord des parents).

Et c’est ça qui ne plaît pas à la Fondation Jérôme-Lejeune. Rappelons que Jérôme Lejeune était un médecin, décédé en 1994, codécouvreur de la trisomie 21 (et pour ça, il s’est appuyé sur les travaux de la chercheuse Marthe Gautier, qu’il a pris soin d’occulter). Mais il était aussi, et reste encore, une figure emblématique des anti-IVG. Aujourd’hui, la fondation qui porte son nom poursuit deux objectifs principaux : d’une part, des recherches scientifiques sur la trisomie 21. Et d’autre part, un combat juridique pour la défense des foetus, embryons et amas de cellules qui les précèdent. Car dès qu’un ovule est fécondé, pour eux, c’est sacré. Or, quand les chercheurs étudient un embryon, ils sont amenés à le détruire : un pur assassinat aux yeux de la Fondation Lejeune. Pour tenter d’y mettre fin, elle attaque donc en justice. Non pas directement les laboratoires, mais l’Agence de la biomédecine.

En effet, c’est cette instance qui accorde, sur dossier ­dûment étayé, les autorisations de recherche. De nombreuses conditions sont requises : traçabilité des cellules, preuve de la pertinence de la recherche, absence d’alternative aux embryons, etc. Les avocats de la Fondation Lejeune s’immergent dans ces dossiers très techniques pour y chercher la moindre faille. D’après les chiffres fournis par l’Agence de la biomédecine, depuis 2009, la Fondation Lejeune a engagé 59 procédures judiciaires. À ce jour, il y en a encore une quinzaine en cours, dont une devant le Conseil d’État.

Évidemment, ce harcèlement empoisonne les scientifiques. C’est le cas de Tuan Nguyen, chercheur en médecine et responsable d’une société biomédicale à Nantes. Il utilise les cellules souches embryonnaires pour tenter de fabriquer des cellules du foie, ce qui permettrait de pallier les manques de dons ­d’organes. Ce n’est déjà pas une mince affaire en soi, mais, en outre, Tuan Nguyen doit affronter le harcèlement des chevaliers du fœtus : « Tous nos projets sont systématiquement attaqués par la Fondation Lejeune. Même s’ils sont déboutés par les tribunaux, ils reviennent à la charge. Ils créent un climat délétère, et cela nous demande plus de travail pour rédiger les dossiers, car il faut anticiper les ­attaques judiciaires qu’ils vont mener. »

Laurent David connaît le même genre de problème. Il est chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), toujours à Nantes, et travaille sur la compréhension du développement embryonnaire pour augmenter le taux de succès des fécondations in vitro. Ce qui lui vaut d’être dans la ligne de mire de la Fondation Lejeune : « Ils utilisent tous les moyens pour attaquer systématiquement tous nos projets. Par exemple, ils vont dire qu’ils ont entendu parler d’une alternative à l’embryon, et même si ce n’est pas pertinent, ils vont s’en servir pour contester. À Nantes, nous sommes particulièrement attaqués car nous sommes parmi les laboratoires qui ont le plus d’autorisations dans ce domaine. »

L’ennemi public n°1 des cerbères de l’embryon a longtemps été Marc Peschanski. Ce biologiste est pionnier dans de multiples domaines (cellules souches, maladies neurodégénératives, greffes neuronales…). Bien que ses travaux permettent de sauver des vies humaines, ils ne plaisent pas aux catholiques qui se disent « pro-vie » : « Comme j’ai mené le combat pour faire changer la loi de bioéthique, je suis devenu la tête de Turc de la Fondation Lejeune. Ils ont attaqué tous mes projets, aussi bien pour des vices de forme que sur le fond. Mon laboratoire a reçu des menaces de la part de mouvements catholiques intégristes, et il a même été sous protection policière en 2011. »

Sur son site Internet, la Fondation Lejeune affiche fièrement la « défense de l’embryon » comme l’un de ses buts. Ses avocats, que j’ai contactés, légitiment leurs attaques contre la recherche médicale sur des embryons – qu’ils nomment « les sacri­fiés de la recherche » – au motif que « l’objectif visé ne justifie pas que l’on détruise un être humain » et « qu’à ce jour elle n’a donné lieu à aucune thérapie effective ». Jusqu’à présent, cette fondation catholique n’est jamais parvenue à stopper durablement un programme scientifique, mais son harcèlement freine indubitablement la recherche. Elle a notamment réussi, en 2019, à bloquer deux projets à cause de pièces manquantes dans les demandes d’auto­risation. Ce qui oblige les chercheurs à réécrire les dossiers – soit des dizaines d’heures qu’ils ne passent pas avec leurs éprouvettes et leurs microscopes.

L’Agence de la biomédecine avouait même, dans un compte rendu de 2016, que ses services étaient « mobilisés pour régler ce type de sujet, ce qui s’avère coûteux et regrettable car, en conséquence, ils ne sont pas disponibles pour d’autres sujets plus déterminants ». Il faut compter plusieurs centaines de milliers d’euros dépensés en frais d’avocats, qui pourraient servir à finan­cer des laboratoires  ! C’est ce qui a conduit 146 scientifiques à signer, le 30 mars 2017, une tribune dans Le Monde, intitulée « Nous, médecins et chercheurs, mettons en garde contre la Fondation Jérôme-­Lejeune », dans laquelle ils demandaient notamment aux autorités concernées « de reconsidérer la reconnaissance « d’utilité publique » attribuée à la Fondation Jérôme-Lejeune ».

Il faut tout de même souligner que les recherches sur les embryons ne posent aucun problème aux autres croyants : ni aux juifs, ni aux bouddhistes, ni aux musulmans (du moins pas officiellement, ni publiquement). Il n’y a que les catholiques intégristes qui ont du mal à digérer ces progrès de la médecine.

Certes, la Fondation Lejeune peut bien faire autant de procès qu’elle veut, les tribunaux sont là pour ça. L’ennui, c’est qu’elle est officiellement reconnue « d’utilité publique ». Ce qui lui octroie certains avantages, notamment en termes de fiscalité. L’action de la Fondation Lejeune à l’égard des trisomiques est sans doute très respectable, mais cette action lui permet aussi de lever des fonds destinés à freiner d’autres recherches médicales. Et là, ça ne va plus. Il y a quand même quelque paradoxe à accorder le statut « d’utilité publique » à des gens qui attaquent, précisément, la recherche médicale publique. Et qui, au nom d’une conception toute religieuse de la « défense de la vie », mettent en péril des travaux scientifiques qui permettent de sauver des vies humaines. Le site du ministère de l’Intérieur rappelle, à propos du statut « d’utilité publique », que « cette reconnaissance peut […] être retirée à tout moment ». Eh bien, il serait temps d’y songer. La recherche médicale avancerait mieux si l’on se débarrassait de ce paradoxe, en accordant à la Fondation Lejeune un autre statut : celui « de nocivité publique ».

Merci à nos amis du journal satirique nantais La Lettre à Lulu, et notamment à Nicolas de la Casinière pour sa formidable enquête parue dans le numéro de juillet, « Les croisés du chromosome », dont nous nous sommes inspirés pour cet article. Soutenez sans tarder cette « sale gosse de la presse nantaise », lalettrealulu.fr

L’embryon et l’avocat

Avant 2004, les recherches sur les embryons et les cellules souches embryonnaires étaient totalement illégales. De 2004 à 2013, elles restaient théoriquement interdites, mais de nombreuses dérogations étaient accordées. En 2013, toutes ces recherches sont devenues légales, mais soumises à autorisation de l’Agence de la biomédecine. Depuis 2021, la loi différencie les recherches sur les cellules souches de celles sur les embryons. Pour les premières, il n’y a plus besoin d’autorisation, il suffit d’une simple déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Les recherches à partir d’embryons, elles, restent soumises à autorisation.

Cécile Martinat chercheuse à l’Inserm et présidente de la société française de recherche sur les cellules souches

Charlie Hebdo : Vos travaux sont-ils attaqués par la Fondation Jérôme-Lejeune  ? Et si c’est le cas, en quoi ces attaques sont-elles gênantes pour les chercheurs  ?

Cécile Martinat  : Oui, nos projets sont systématiquement attaqués. Nous travaillons à développer des traitements pour des maladies génétiques. Le premier problème, c’est l’insécurité pour le futur. Par exemple, quand nous menons des travaux sur des thérapies cellulaires et que nous sommes en train de greffer des patients, il est difficile de nous dire que nous serons peut-être obligés de tout arrêter à cause des attaques de la Fondation Lejeune. On sera plus sereins le jour où on n’aura plus cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Comment les chercheurs peuvent-ils répondre aux attaques de la Fondation Lejeune  ?

Dans le but de nous préserver, nous avons créé, en 2017, la Société française de recherche sur les cellules souches. Il s’agit d’une société savante dont la première mission était de répondre aux attaques de la Fondation Lejeune. Nous nous sommes dit qu’il fallait faire connaître nos travaux au grand public. Nous avons également réussi à faire modifier la loi de bioéthique : désormais, la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’est plus soumise à autorisation, ce qui réduit les possibilités d’attaques en justice de la part de la Fondation Lejeune.

Dans l’une de vos interventions, vous disiez que les recherches sur les cellules souches embryonnaires permettraient de moins recourir à l’expérimentation animale. Ce serait une excellente nouvelle pour les défenseurs des bêtes  !

Tout à fait, c’est l’un des arguments que nous mettons en avant. Les cellules souches embryonnaires peuvent donner naissance à toutes les cellules de l’organisme. Cela pourrait permettre, dans un futur proche, de se passer d’animaux dans la recherche médicale.

Parmi les préoccupations de votre société scientifique, y a-t-il la remise en question du statut de la Fondation Lejeune  ?

Oui, car cette fondation est censée financer des programmes de recherche. On peut s’interroger sur le fait qu’une association qui se dit « d’utilité publique » investisse autant d’argent pour arrêter des projets de recherche. Le fait qu’ils soient prêts à porter leurs procédures jusqu’au Conseil d’État montre leur détermination à attaquer en permanence. Il faut se poser la question des moyens pour retirer le statut « d’utilité publique » à cette fondation.

Propos recueillis par A.F."



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