Revue de presse

C. Fourest : "Il y a ceux qui risquent la mort et ceux qui ne risquent rien" (liberation.fr , 6 jan. 18)

Caroline Fourest, journaliste, essayiste, auteur de "Génie de la laïcité" (Grasset). 6 janvier 2018

"Le débat sur la liberté d’expression et la laïcité existait avant le 7 janvier, avec Charlie en première ligne avec l’affaire des caricatures de Mahomat. Qu’est-ce qui a changé avec l’attentat contre le journal ?

Tout. Les alertes sur les dangers pesant sur la liberté d’expression n’étaient pas assez entendues avant. Après, cette surdité n’avait plus d’excuse. Depuis le 11 Janvier, on se sent moins seul et plus entendu. Mais d’un autre côté, il est bien plus dur de continuer à endurer les calomnies, la mauvaise foi et les procès d’intention en « islamophobie » des réseaux anti-Charlie après ces massacres. D’autant que nous ne sommes pas à égalité. Il y a d’un côté ceux qui risquent la mort en parlant sur l’intégrisme, et de l’autre ceux qui ne risquent rien à cracher sur les laïques.

Y a-t-il eu pour vous une évolution dans ce que recouvre l’expression « Je suis Charlie » ?

Non, elle n’a pas changé de sens. C’est un message très simple et très fédérateur : refuser qu’on puisse mourir pour avoir ri des intégristes ou parler de religion. Le 11 Janvier, les Français ont formé la plus grande manifestation qui n’ait jamais existé dans ce pays depuis la guerre pour le réaffirmer. Parmi les « Je suis Charlie » est née une nouvelle génération prête à défendre la laïcité et ses acquis. Ceux-là sont déterminés à combattre les amalgames et la propagande ayant fabriqué des cibles, tous ces raccourcis entre laïcité et racisme, et tous les signaux ayant pu laisser penser aux frères Kouachi que leur geste serait salué et applaudi. C’est le vrai enjeu du débat public : faire admettre que rire de la religion n’est pas raciste et qu’on ne devrait pas être en danger pour avoir moqué des intégristes. Si on était tous d’accord sur ce point, nous serions protégés. En l’affirmant, le mouvement du 11 Janvier a protégé des vies : cette solidarité nationale a permis de montrer aux terroristes que leur geste avait échoué, qu’on ne pouvait pas tuer une conception aussi sacrée de la liberté.

Mais ce mouvement a aussi été très divers, on a aussi vu fleurir les « Je suis Charlie, mais... », ou les « Je ne suis pas Charlie ».

Les « Je ne suis pas Charlie » sont minoritaires et finiront comme tous les perdants de l’histoire. Je peux admettre que des jeunes se laissent manipuler et ne sachent pas faire la différence entre incitation à la haine raciste et critique des idées religieuses ou intégriste. Ce qui est beaucoup plus grave, c’est qu’ils ne sont pas seulement manipulés ou tirés vers le bas par des intégristes mais aussi par des experts, des universitaires et des intellectuels « anti-Charlie ». Je ne parle pas de ceux qui peuvent émettre sur telle ou telle façon d’appliquer la loi de 1905, je parle de ceux qui font tout pour diffamer Charlie Hebdo, nier le contexte de l’affaire des caricatures et salir le 11 Janvier. Pour moi, ces gens les plus dangereux ne sont pas les terroristes, mais ceux qui ont raconté partout que la France méritait ce qui lui arrivait, parce qu’elle était « islamophobe », tout comme Charlie Hebdo. Je pense à ceux qui vont cracher ce venin et répande ces contre-vérités dans des journaux comme The Guardian ou le New York Times qui, au passage, attaquait déjà la laïcité française comme anti-religieuse au moment de la loi de 1905.

Quel sens donner à la multiplication des mouvements « Je suis... », nés à la suite des attentats ultérieurs ? Conduisent-ils à redéfinir le mouvement « Je suis Charlie » ?

L’idée de se solidariser avec toutes les victimes du terrorisme chaque fois qu’une ville est touchée est moins ambitieux que de se solidariser avec des blasphémateurs pris pour cible, mais ça reste une façon de faire front par la solidarité. Même dans « Je suis Charlie », chacun est libre d’y lire un message plus ou moins ambitieux, du droit de dessiner sans mourir au droit revendiqué de blasphémer.

Après la forte mobilisation du 11 janvier, que reste-t-il du mouvement populaire ?

Il existe une « laïcosphère » ou « je-suis-charlie sphère » bien plus dynamique et vigilante, qui ne laisse plus rien passer. C’est très important qu’elle soit à la pointe et souvent même la première à alerter en cas d’atteinte à la laïcité ou de promotion des « anti-Charlie ». Cette longueur d’avance nous protège de la « fachospère » en la rendant secondaire et en posant une façon constructive d’être vigilant. Encore faut-il que certains journaux de gauche cessent de donner des points à l’extrême droite en faisant passer des alertes lancées par la « laïcosphère » pour une campagne de la fachosphère… [...]

Malgré tout, la laïcité défendue par ce mouvement est loin d’être « ouverte », pour reprendre les termes du débat qui vous a opposé à Jean Baubérot.

La « laïcité » dite « ouverte » de Jean Baubérot consiste à s’inspirer du modèle canadien pour accommoder les exigences religieuses, y compris intégristes, au détriment de la sécularisation. Il écrit depuis des années qu’un renouveau religieux peut réenchanter le monde et que l’intégrisme vient des laïques républicains. Je pense exactement le contraire : nous vivons une époque de remontée des intégrismes religieux et seule une vision vigilante de la laïcité, conforme à celle des pères de la loi de 1905, peut nous en protéger. [...]

Thibaut Sardier"

Lire "Caroline Fourest : « Les "Je ne suis pas Charlie" finiront comme tous les perdants de l’histoire »".


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