Revue de presse

Pourquoi les Juifs ont quitté l’Egypte (Ahram Online / courrierinternational.com , 4 av. 13)

12 avril 2013

Depuis qu’Essam El-Erian, le conseiller du président égyptien Mohamed Morsi issu des Frères musulmans, a appelé les Juifs israéliens d’origine égyptienne à rentrer en Egypte [il a dû démissionner après avoir lancé cet appel], les réactions dans les médias et les réseaux sociaux se sont multipliées, chacun s’interrogeant sur l’objectif et les éventuelles répercussions de cet appel. Et les questions fusent de tous côtés : y avait-il vraiment des Juifs en Egypte ? Se sentaient-ils vraiment égyptiens ou était-ce une façade ? Ces Juifs avaient-ils vécu en Egypte depuis des siècles ou s’agissait-il de nouveaux arrivants ? Est-il vrai que la plupart d’entre eux sont partis pour Israël, ce qui expliquerait leur manque de patriotisme à l’égard de l’Egypte ?

Oui, il y avait des Juifs égyptiens en Egypte. Avant 1948, ils étaient entre 65 000 et 80 000 au Caire et ailleurs, à Alexandrie et dans d’autres villes du delta du Nil. Certains de ces Juifs s’étaient installés en Egypte il y a très longtemps, parfois avant même la conquête de l’Egypte par les Arabes, mais la majorité d’entre eux sont venus en Egypte au XIXe siècle, pour fuir les pogroms qui avaient lieu en Europe. D’autres avaient été séduits par l’exceptionnelle douceur de vivre du pays à l’époque. D’après les sources, la majorité de ces Juifs se sentaient vraiment égyptiens et avaient tissé des liens très forts avec leurs compatriotes musulmans et coptes. Certains d’entre eux parlaient arabe, mais aussi trois ou quatre autres langues, et d’autres maniaient la langue arabe avec virtuosité – comme le grand rabbin Haïm Nahum, qui fut l’un des membres fondateurs de l’Acadé­mie de la langue arabe en 1932.

Certains d’entre eux étaient riches et possédaient des grands magasins luxueux, ain­si que de grandes propriétés, mais il y avait aussi parmi eux des ouvriers qualifiés sans moyens et chaque quartier du Caire avait son électricien juif, son épicier, ou sa couturière juive. D’après les données dont on dispose, la majorité des Juifs égyptiens ont quitté l’Egypte après la guerre de Suez de 1956 (et non celle de 1948, date de la création d’Israël) et ils n’ont pas quitté le pays pour Israël mais se sont installés dans d’autres pays.

En ce qui concerne la délicate question de leur départ, Israël y serait pour beaucoup. En 1954, l’Etat hébreu avait en effet recruté un réseau d’espions dont la mission était de perpétrer une série d’attentats au Caire et à Alexandrie, avec l’opération Susannah [connue en Israël sous le nom d’affaire Lavon]. Il ne faut pas pour autant minimiser la responsabilité du régime du président Nasser [1954-1970], qui a fait la chasse aux Juifs égyptiens, puis s’est servi de la guerre de Suez [1956] afin ­d’im­poser une série de restrictions aux Juifs dans le cadre d’un nationalisme exacerbé. Sous Nasser, les Juifs les moins riches n’avaient pas droit à un passeport. Quant à ceux qui en avaient un, en cas de voyage à l’étranger, ils se voyaient apposer dessus la mention “départ définitif – pas de retour”, le plus sûr moyen de les empêcher de rentrer. [...]

Les Frères musulmans ont eux aussi joué un rôle dans cet exode. Dans les années 1930 et 1940, les dirigeants et les idéologues ont fait courir le bruit que les Juifs n’aimaient pas leur pays. Les publications des Frères musulmans de l’époque ne font pas la distinction entre judaïsme et sionisme et manifestent un antisémitisme des plus crus afin de monter les musulmans et les coptes contre leurs compatriotes juifs. Les jeunes du mouvement de la Fraternité musulmane ont fomenté plusieurs attentats terroristes dans le quartier juif du Caire en 1945 et en 1948, dont l’incendie de plusieurs propriétés et de synagogues qui ont fait des dizaines de morts et de blessés au sein de la communauté juive.

Ce scénario peut-il se répéter ? En 1941, sur Emad Eldin, l’équivalent de Broadway au Caire, une pièce de théâtre faisait un tabac : Hassan, Morcos [le Copte] et Cohen. Plus de soixante ans plus tard, il n’y a plus que Hassan et Morcos. En 2008, le film Hassan & Morcos fait aussi un tabac. Mais Morcos va-t-il être obligé de quitter le pays comme Cohen avant lui ?"

Lire "Les minorités en péril".


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