Revue de presse

"« Antivax » et Macron : comment la comparaison avec Hitler empêche tout débat" (F.-G. Lorrain, lepoint.fr , 21 juil. 21)

François-Guillaume Lorrain. 25 juillet 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"« L’argument » ultime des anti-vaccins n’aura échappé à personne : le pass sanitaire est la nouvelle étoile jaune et Emmanuel Macron, caricaturé avec la célèbre moustache, le nouveau Hitler. On aura reconnu le fameux reductio ad Hitlerum repris d’un texte peu lu du philosophe Leo Strauss, Droit naturel et Histoire, où celui-ci, en 1953, écrivait : « Il ne va pas de soi que, dans notre examen, nous devrons éviter l’erreur qui au cours des dernières décennies a souvent été utilisée pour remplacer le reductio ad absurdum, le reductio ad Hitlerum : une opinion n’est pas réfutée par le fait qu’elle a été partagée par Hitler. »

Strauss, qui s’intéressait à la formation de la doxa, autrement dit de l’opinion publique, évoquait alors, sur un mode parodique – il faut tout de même y penser de latiniser le nom de Hitler –, l’appauvrissement du débat et la paresse de la réfutation qui consiste à disqualifier toute opinion différente en la ramenant à la figure du mal. Que ces quelques lignes, qui auraient dû passer inaperçues, aient été reprises, répétées, amplifiées traduit bien du reste la fascination exercée par le nom « Hitler » et la facilité qui consiste en son recours. Tout succès d’une expression en dit moins long sur celle-ci que sur la société qui la consacre. Tel sera donc l’apport d’une époque qui aura ajouté son écot au raisonnement par l’absurde, à l’argument ad hominem et aux autres anciens procédés rhétoriques.

Redynamisé au début des années 1990 par la loi Godwin – plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité de trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler approche de 1 –, cet argument relève d’un mésusage de la langue. De même qu’on critique le « politiquement correct », « la novlangue », « la langue de bois », on peut s’interroger sur le vice d’une attitude qui consiste à repousser aussitôt l’adversaire dans le camp du mal, à lui coller l’étiquette infâme par excellence, pour éviter d’avoir à discuter des arguments de fond. En 2014, François de Smet, dans un ouvrage intitulé justement Reductio ad Hitlerum (PUF), avait bien analysé ce dont cette manie était le nom. Un manichéisme définitif qui dit une société où l’on ne tolère plus le doute, la nuance, la contingence, l’incertitude. Une incapacité aussi à actualiser le débat en se trouvant des méchants au présent, ce qui inviterait à une nostalgie de l’argument nazi. Un fourre-tout relativiste où tout se vaudrait, puisque tout peut être nazifié, ce qui permet de banaliser le nazisme en le mettant à toutes les sauces.

Mais, dès lors que le nazisme a été érigé, aussitôt après la guerre, en mal absolu, il en est devenu automatiquement le référent évident, la citation commode. Cela commença très tôt. Quand les grévistes de 1948 criaient face aux bataillons de CRS nouvellement constitués « CRS SS », ils pratiquaient déjà, sans le savoir, avant même que l’expression ne soit inventée, le reductio ad Hitlerum. L’homme a toujours eu besoin de pouvoir nommer l’ennemi, le marquer au fer rouge, le désigner comme le bouc émissaire, fût-ce en le qualifiant « d’innommable ». Hitler, devenu une marque, un nom sursaturé de sens, un stéréotype en six lettres, a rempli ce rôle, après Satan, le diable, le roi et quelques autres. Cet innommable a récemment connu de multiples variations empruntées aux auxiliaires d’Hitler et du nazisme : Gestapo, régime de Vichy et consorts…

De nombreuses critiques de ce reductio ad Hitlerum ont été avancées. Elles proviennent de différents camps, situés parfois chez les nationalistes ou à l’extrême droite, comme Alain de Benoist. La critique la plus sensée consiste à l’évaluer selon l’angle de la démocratie. Quelle est cette société où l’on n’admet pas cinquante nuances de gris, mais un seul noir et blanc, où si vous n’êtes pas blanc, vous êtes forcément noir, c’est-à-dire, en l’occurrence, hitlérien. Une société de morale en forme de jeux vidéo, où l’on n’a plus le choix qu’entre A et B. Pouce levé ou abaissé. On pense que qualifier d’Hitler son adversaire va faire progresser sa cause, valoir de nouveaux adhérents, puisqu’aujourd’hui tout doit faire choc et que le choc par excellence, c’est Hitler. Erreur, car une autre règle de la rhétorique veut que plus vous utilisez une image, plus son effet se dévalue et s’émousse.

Comparaison n’est pas raison et, si la raison a encore son mot à dire, le destinataire du message comprendra que ça ne tourne pas rond dans la tête de l’émetteur. Bien sûr, nous opposera-t-on, en recourant à l’étoile jaune (en guise de pass sanitaire) ou à Hitler, ces rhétoriciens aux semelles de plomb ne visent qu’à provoquer une émotion et une sidération. La raison est le cadet de leurs soucis. On se passe de penser, de débattre. On sort l’arme de dissuasion massive. Au risque de décrédibiliser ses idées et son engagement. Un retour à l’envoyeur."

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