“1992 : la parité et l’égalité des sexes” (Le Monde, 8 août 07)

2007

Née au sein des institutions internationales - le Conseil de l’Europe mais aussi les Nations unies et la Communauté européenne -, l’idée de parité fait peu à peu son chemin, en France, dans les années 1990. Lancée en 1992 par un livre de Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, Au pouvoir citoyennes : liberté, égalité, parité (Seuil), cette petite révolution surgit dans le débat public avec la publication dans Le Monde, à l’automne 1993, du « Manifeste des 577 pour une démocratie paritaire ». « La parité des sexes est une condition de la réalisation de la démocratie, au même titre que la séparation des pouvoirs et le suffrage universel », proclame-t-il.

Le manifeste, qui compte autant de signataires que d’élus à l’Assemblée nationale, part d’un constat simple. « Les Françaises sont électrices et éligibles depuis 1945. Combien sont-elles au Parlement aujourd’hui ? 5 % seulement, moins encore qu’il y a 48 ans ! Les dernières élections législatives prouvent une fois de plus que rien ne changera, sinon par la loi. »

Trois ans plus tard, L’Express publie un « Manifeste des dix pour la parité » signé par Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Edith Cresson, Hélène Gisserot, Catherine Lalumière, Véronique Neiertz, Monique Pelletier, Yvette Roudy, Catherine Tasca et Simone Veil. Alors que les mouvements féministes des années 1970 avaient défendu leurs idées en organisant l’action militante et en descendant dans la rue, les défenseures de la parité choisissent cette fois le terrain du débat public. « Les répertoires les plus utilisés sont les manifestes dans la presse, les conférences et tables rondes dans les lieux les plus emblématiques du pouvoir institutionnel et politique tels que l’Assemblée nationale, le Sénat ou encore l’Unesco, ou les pétitions comme celle du réseau Demain la parité, qui a recueilli près de 10 000 signatures », souligne Eléonore Lépinard dans L’Egalité introuvable (Presses de Sciences Po).

Les « paritaires » se recrutent dans tous les milieux. On y trouve des figures « historiques » du féminisme comme Gisèle Halimi, cofondatrice, avec Simone de Beauvoir, de Choisir la cause des femmes, et avocate du procès de Bobigny sur l’avortement, mais aussi Yvette Roudy, la première ministre des droits de la femme de François Mitterrand. On y rencontre aussi des philosophes comme Sylviane Agacinski ou Geneviève Fraisse, des élues comme Catherine Trautmann ou Elisabeth Guigou, des sociologues comme Françoise Gaspard.

Tout en se gardant de tout essentialisme, les défenseures de la parité estiment que la présence, en nombre égal, d’hommes et de femmes dans les lieux de pouvoir est un élément fondamental de la démocratie. « La démocratie représentative fonde sa légitimité sur sa capacité à symboliser la collectivité, écrivent Françoise Gaspard et Claude Servan-Schreiber dans Le Monde en 1993. (…) Les femmes et les hommes concourent ensemble à la perpétuation de l’espèce. Ils doivent concourir ensemble, et à parité, à l’organisation de la vie commune. Non pas au titre de la “différence” d’un sexe par rapport à l’autre, mais de leur participation conjointe à l’espèce humaine. »

Ces arguments ne convainquent guère les anti-paritaires. « Un préjugé naturaliste a servi à exclure les femmes, réplique la professeur de droit Evelyne Pisier dans Le Monde en 1999. Assumant ce préjugé, la parité prétend désormais les inclure. » Pour combattre l’idée « humiliante » de « quotas », la philosophe Elisabeth Badinter, qui craint des « dérives mortelles pour notre République », invoque l’universalisme républicain et brandit la menace du communautarisme. « L’argument du nombre engendrera de nouvelles revendications paritaires de la part d’autres communautés, raciales, religieuses, voire culturelles ou sexuelles », écrit-elle dans Le Monde en 1996.

Cet argument fait sourire Gisèle Halimi. « Les femmes ne sont ni une race, ni une classe, ni une ethnie, ni une catégorie, répond-elle dans Le Monde en 1997. Elles se trouvent dans tous ces groupes, elles les engendrent, elles les traversent. » Pour la philosophe Sylviane Agacinski, l’universalisme « vénéré » par les anti-paritaires est « trompeur ». « S’il consiste, de façon abstraite, à ignorer la différence sexuelle, c’est-à-dire l’essentielle mixité du genre humain, alors il faut faire la critique philosophique et politique de l’universalisme et montrer que, toutes les fois qu’on efface la différence sexuelle, on identifie en réalité le genre humain à un seul sexe, celui de l’”homme” », écrit-elle dans Le Monde en 1996.

En 1997, cette controverse, qui a permis d’ouvrir un large débat public sur l’égalité des sexes, trouve un débouché politique avec la victoire de la gauche aux élections législatives. Dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le nouveau premier ministre, Lionel Jospin, promet de « permettre aux Françaises de s’engager sans entraves dans la vie publique ». « Une révision de la Constitution, afin d’y inscrire l’objectif de parité entre les femmes et les hommes, sera proposée », affirme-t-il à l’Assemblée. C’est chose faite deux ans plus tard : réuni à Versailles, le Parlement ajoute à la Constitution un amendement affirmant que la loi « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».

Anne Chemin


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